Fresque ambitieuse, La vie d'une femme narre sur cinquante ans l'existence d'une femme sur fond de guerre sino-japonaise. Frustrant car beaucoup trop dense pour être traité sur une longueur standard, le film voit défiler les épisodes successifs de la vie de Kei au rythme d'inserts de coupure de presse scandant l'avancée inexorable du récit dans le temps sur fond d'omniprésent cuivres funestes préfigurant l'épilogue-bilan désabusé. Portrait de femme et de ses renoncements, le film progresse pour devenir une allégorie d'une société implacable broyant ceux croyant échapper à leur condition. Orpheline, Kei se trouve jetée à la rue par ses employeurs tyranniques. Traumatisée, elle s'introduit dans la demeure d'une riche famille attirée par la mélodie apaisante d'un piano. Pris en affection par un des fils, elle trouve finalement refuge dans la famille en tant que servante. Dès lors, le récit prend la forme de la métamorphose d'une femme rude à la tâche qui se voit confier la responsabilité de l'entreprise familiale après un mariage d'intérêt par devoir de reconnaissance envers la matriarche. Conditionnée par ses obligations et le souvenir proche d'une vie misérable, le film trace la fuite en avant d'une femme renonçant à ses aspirations et bientôt prise dans une spirale déshumanisante où elle se trouve bientôt isolée. L'ancrage historique (le conflit mandchou et les relations commerciales sino-japonaises) constitue ici un arrière-plan catalyseur écrasant le récit de tout son poids. Dans un terrible plan final montrant une Kei vieillarde et ruinée au milieu des ruines fumantes de la demeure familiale bombardée par les américains, Masumura conclut d'ailleurs son œuvre d'une cinglante morale ('Cette entreprise est née par la guerre, elle mourra par la guerre') appuyant la destinée cruelle d'une femme à qui le bonheur se dérobe, le seul vestige des ruines restant un portail lui rappelant cyniquement son passé (ici vu comme symbole récurent de son renoncement d'alors à un mariage d'amour). Convoquant toutes les thématiques de son auteur (désir renié, amour absent, cellule familiale en crise, et entreprise déshumanisante), La vie d'une femme se disperse pourtant rapidement dans sa volonté d'exhaustivité et perd de vue son élément moteur (la transformation d'une servante répudiée en une affairiste impitoyable) et ses implications intimes (divorcée puis bientôt reniée par sa fille). Le pessimisme implacable de sa chute n'en ressort que plus comme forcé, à l'image de coups du sort improbables assombrissant encore plus le bilan et jouant lourdement sur la symbolique du destin (son ancien amant ressurgit des ruines d'un Tokyo dévasté). Reste que le plan formel est ici remarquable et ne fait qu'encore plus regretter l'échec du projet ; le dispositif de huis-clos (la maison) offre un large panel de solutions visuelles au service du propos : photographie noir et blanc acérée, mise en scène tendue (contre-plongées funestes, surcadrages atypiques opprimant les personnages) ainsi qu'un montage sec et implacable recourant notamment à la figure des cloisons coulissantes pour signifier l'évolution des conflits humains et de leur tension spatiale.
Gewurztraminer
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le 30 mars 2011

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