Pour son cinquième long-métrage, l'acteur et réalisateur français Niels Tavernier (fils du "grand" Bertrand) choisit de mettre en scène, en l'adaptant, l'histoire vraie et terrible de Tauba Zylbersztejn (plus connue sous le nom de Thérèse Birenbaum), contrainte de se terrer avec ses parents, Moshe et Rywka, pendant l'occupation allemande à Paris, de juillet 1942 à août 1944.
Thérèse avait relaté cette tragédie en 1997 dans le cadre de l'initiative de Steven Spielberg, Survivors of the Shoah Visual History Foundation, créée en 1994 en prolongement de son célèbre film La Liste de Schindler. Pour situer le contexte de l'époque et la situation des Zylbersztejn, le réalisateur montre en introduction, avec à-propos, un extrait de l'enregistrement.
Ce film profite d'un important travail de co-écriture avec Guy Birenbaum, le fils que Thérèse a eu avec Robert Birenbaum, ce résistant français qu'elle rencontre en août 1944 à la libération de Paris, et dont Guy publie en parallèle de la sortie un roman éponyme.
Déjà évoqué dans le documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur Paris Xe de Ruth Zylberman en 2018, cet extrait de la vie de Tauba et de ses parents est ici présenté comme un huis clos intense et psychologique, voire étouffant, de cette famille juive d'origine polonaise cloîtrée pendant deux ans dans une chambre de bonne d'à peine 10 m², prêtée par la famille Dinanceau. Cette famille est représentative, dans le film, de ces Français qui ont pris des risques immenses à protéger des juifs sous l'occupation allemande. C'est ainsi que les Zylbersztejn échappent d'un rien à la rafle du Vel d'Hiv en juillet 1942, suspense très bien rendu au début du film, dont le prolongement nous montre que, finalement, pour eux, c'est tomber de Charybde en Scylla.
Heureusement entrecoupé d'images d'archives, le scénario linéaire et sans rebondissements (sauf la douloureuse question autour du fils Dinanceau, ce collabo déserteur, ainsi qu'un séjour du père très risqué à l'hôpital) pourra cependant rebuter certains spectateurs, mais l'intérêt du film est bien ailleurs.
C'est tout d'abord, dans un espace exigu et parfaitement reconstitué, de sentir les questions, les angoisses, les émotions, les sentiments contradictoires et les conditions de vie quasiment insupportables de Tauba et ses parents : combien de temps seront-ils ainsi confinés ? Que deviennent les gens raflés dans les camps de destination ? Les enfants qui ne devraient pas travailler ? Pourquoi le père n'est-il pas devenu un résistant ? La promiscuité forcée sans aucune intimité, l'ennui déprimant, la grande chaleur en été, et l'extrême froid en hiver, l'angoisse du coût de leur subsistance, le tout avec une minuscule lucarne comme fenêtre sur l'extérieur, permettant d'épier les allées et venues de soldats et d'habitants dans la cour de l'immeuble. Et c'est aussi cette nécessité absolue du silence imposé pour ne pas éveiller les soupçons des habitants qui pourraient les dénoncer, avec quelques rares visites de Madame Dinanceau et de la grand-mère qui habite l'immeuble, les personnes âgées n'étant pas raflées.
Dans cette vie cauchemardesque, ce qui est beau et intéressant, c'est de voir la montée en confiance progressive de Tauba, dans une quasi-émancipation et une foi en l'avenir qui la porte, et qui aide indéniablement ses parents à tenir. Le symbole elliptique de cette transformation réside dans son audace à se promener sur les toits de l'immeuble comme une ouverture vers sa vie devant elle, alors qu'elle ne peut être sûre de rien.
Comme ça, pendant deux ans, est-ce imaginable ? Car l'autre intérêt du film est, pour le spectateur, le questionnement et l'inconfort du "Qu'aurais-je fait ?" Aurais-je pu tenir aussi longtemps ? Aurais-je pris le risque de cacher cette famille comme le font les Dinanceau ? Et plus largement, comment me serais-je comporté dans ces moments si sombres pour l'humanité ?
Pour ce film très émouvant, Niels Tavernier a su s'entourer d'un casting haut de gamme, avec Guillaume Gallienne et Adeline d'Hermy, tous deux sociétaires de la Comédie-Française, dans le rôle des parents de Tauba, tout en retenue et profondeur des sentiments, jouant habilement sur les non-dits. Au milieu d'eux, la jeune actrice Violette Guillon interprète une Tauba qui semble à l'aise et facilite ainsi sa mise en confiance. À noter aussi l'excellente participation de Sandrine Bonnaire, qui incarne une Madame Dinanceau soucieuse du sort des Zylbersztejn.
Ce n'est certes pas le seul film de ce genre sur la Shoah et ses survivants. On pense au terrible Journal d'Anne Frank et à ses adaptations cinématographiques. Mais il participe du nécessaire devoir de mémoire, en ces temps troublés, et s'installe comme une piqûre de rappel pour les jeunes générations, à l'instar du récent La Plus Précieuse des Marchandises de Michel Hazanavicius.
Et la fin du métrage nous offre un enregistrement précieux et émouvant, en écho à l'introduction de Thérèse Birenbaum, dont on ne saurait se priver !
Ma critique est à retrouver sur Le Mag du Ciné :
https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/la-devant-moi-film-niels-tavernier-avis-10074689/