Si toute vie est un roman, peut-elle pour autant faire un film ? A priori oui, mais il faut néanmoins réunir un certain nombre de conditions, qu'on pourrait commencer à dénombrer ici - personnage extravagant, époque fertile, activités étonnantes, adversité certaine... - sans pourtant parvenir complètement à remplir le cahier des charges d'un bon moment de cinéma. Si le début du film est divertissant et bien mené, avec quelques images spectaculaires grâce à des lumières magistrales, la deuxième partie, qui tire vers Dickens, a plus peiné à me convaincre. L'image se salit à mesure que les facultés mentales du héros s'altèrent, et ça pourrait être une bonne idée si ça ne finissait par franchement fatiguer l’œil. La dégringolade sociale et financière de ce pilier de famille - seul homme d'une tribu essentiellement féminine - met en évidence l'injuste condition des femmes dans l'Angleterre victorienne, et c'est l'intérêt principal de cette histoire, au-delà de l'anecdote du succès inexplicable d'un dessinateur dont les portraits de chats ont provoqué un engouement énorme, sans qu'il parvienne à véritablement en tirer profit. Cumberbatch se fait une spécialité de ces personnages décalés et bouillonnants, on ne peut rien lui reprocher. Son nouvel avatar n'a absolument pas les épaules pour capitaliser sur ses nombreux talents et va laisser sa petite troupe dépérir et se déclasser sans parvenir à enrayer son propre délabrement mental. Après la condition des femmes, c'est celle des malades mentaux qui est évoquée. Sans trop tirer du côté du conte terrible, puisque l'institution dans laquelle le personnage atterrit est modèle. Or, on sait combien le sort des démunis à l'époque était peu enviable, mais ici on nous épargne ces descriptions insoutenables. Et on s'achemine vers une fin apaisée qui laisse le spectateur sur sa faim. Pourquoi ce film, finalement ? Là où il aurait pu constituer un manifeste implacable, il fait fi de toute virulence et tire mollement vers le conte (notamment grâce à une voix off à qui on ne laisse même pas le mot de la fin...). Restent des personnages plutôt attachants, bien que le plus souvent opaques, et des décors somptueusement éclairés. Ça n'est pas rien, mais ça n'est pas non plus assez.