LA VIE INVISIBLE D'EURIDICE GUSMAO (Karim Aïnouz, BRÉ/ALL, 2019, 140min) :
Auréolé par le Prix Un certain regard au Festival de Cannes 2019, La vie invisible d’Euridice Gusmão prouve la résistance du cinéma brésilien, après le rageur Bacurau de Kleber Mendonça Filho.
Adaptation réussie du roman Les mille talents d’Euridice Gusmão publié par Martha Batalha en 2017, cette véritable épopée romanesque sur la condition féminine au cœur de Rio de Janeiro, conte le destin tragique d’Euridice, 18 ans, et de Guida, 20 ans. La première rêve de devenir une célèbre pianiste internationale, l’autre aspire à la liberté ainsi qu’à vivre un grand amour. Ces deux inséparables sœurs vont être éloignées de force, l’une de l’autre, par la volonté disgracieuse d’un père dominant, dans le Brésil patriarcal des années 50.
À partir de ce fait intime, le réalisateur déploie un récit social, politique et familial, où chacune des frangines va fantasmer sur la vie de l’autre, entre douleurs et résilience, pour ne pas sombrer dans le puits du vide abyssal, creusé par l’absence de l’autre, malgré une correspondance épistolaire.
Karim Aïnouz tire de cette tragédie naturaliste une fresque lyrique éloquente où la poésie de la nature et le climat sensuel du pays à l’intérieur d’un canevas bien corseté, éloignent le pathos des situations les plus dramatiques.
La vie invisible d'Euridice GusmãoLe cinéaste opte pour une mise en scène en Scope aux couleurs chatoyantes où la photographie d’Hélène Louvart offre un grain splendide à ces décors de l’intime. L’auteur se sert de ses études en architecture pour apporter également un sens du cadre bien réfléchi, afin de livrer autant de lignes de fuites poétiques que d’enfermements à ces femmes au sein d’une société étouffante. Des mères désenchantées qui subissent régulièrement de nombreuses violences psychologiques et sexuelles, et luttent constamment pour s’évader de leur foyer, ainsi que de leur simple rôle maternel (souvent de manière cérébrale, par la musique notamment…), afin de garder la flamme malgré tout.
Ce long métrage scrute intelligemment les obstacles sur la difficile émancipation féminine et sur l’invisibilité de ces femmes dont la destinée trouve malheureusement encore un écho intemporel, tant le sort de certaines ressemble, de nos jours encore, à celles de ces femmes brésiliennes des années 50.
Le metteur en scène déploie une narration elliptique qui ne cesse de dévoiler une intrigue intime, toujours sur le fil des émotions, au plus près des palpitations de ses héroïnes, amplifiées par l’interprétation de Carol Duarte et Julia Stockler, bien servies par la splendide partition musicale de Benedikt Schiefer.
Alors que le mouvement social féminin du XXIe siècle #MeToo secoue nos consciences, cette ode féministe universelle se révèle salutaire.
Venez donc accompagner avec bienveillance cette séparation au sein de ce flamboyant mélo tropical mis en lumière avec amour à travers La vie invisible d’Euridice Gusmão. Magnifique. Charnel. Vibrant. Bouleversant.