Le très beau premier roman de Martha Batalha, Les mille talents d'Euridice Gusmao, séduisait par sa fantaisie et sa gaieté colorée pour un sujet qui évoquait l'émancipation d'une femme brésilienne depuis les années 50 jusqu'à nos jours. Le film de Karim Aïnouz est loin d'être une adaptation fidèle, notamment par sa tonalité mélodramatique, mais il a conservé ce portrait de la condition féminine dans une époque pas si lointaine, avec la prééminence du patriarcat, comme une photographie sociale qui fait largement écho à ce que vit actuellement le pays dirigé par Bolsonero, président qui n'a rien à "envier" à son homologue américain par bien des aspects. Oublions donc le livre (à découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas) pour nous plonger dans La vie invisible d'Euridice Gusmao, film qui assume totalement ses partis-pris romanesques dans ce récit de l'existence parallèle de deux sœurs qu'une volonté masculine a séparé malgré elles. Un mélodrame, oui, aux images chatoyantes, mais qui joue plutôt la sobriété que la flamboyance et dont l'émotion contenue ne se libère que dans son dénouement déchirant. L'histoire d'un amour et d'une complicité sacrifiés sur l'autel des préjugés et du machisme ambiant et que Karim Aînouz, le cinéaste talentueux de Madame Sata et du Ciel de Suely, traite avec une belle fluidité, notamment en jouant sur des ellipses temporelles perçues à travers les lettres écrites par la sœur d'Eurydice, Guida. Les deux actrices principales sont d'ailleurs admirables sans jamais forcer la note à l'image de l'unité de ton de ce splendide métrage carioca qui ne laisse pas les yeux secs.