Ayant vu ce film au Cinéma de Minuit il y a bien longtemps, j'ai saisi l'aubaine d'une rediff sur CinéClassic pour revoir ce chef-d'oeuvre. Oui, chef-d'oeuvre, n'ayons pas peur des mots ; c'est justifié dans le sens où c'est un exemple fastueux du Hollywood de l'âge d'or, où c'est un fabuleux témoignage historique (ou disons, une facette un peu arrangée de la relation tumultueuse entre la reine Elisabeth Ière et le comte d'Essex), et où le soin poussé jusqu'à l'extrême se repère dans tous les stades de la production.

Je n'avais donc pas revu ce film depuis au moins 40 ans, et pourtant en le revoyant, tout m'était resté dans la tête tellement j'étais fasciné très jeune par ce siècle elizabéthain, symbolisé par cette reine à la volonté de fer, surnommée "la reine vierge" car elle ne s'est jamais mariée tout le long d'un règne de 50 ans, riche d'événements qui ont marqué l'Angleterre de cette époque, et dont Robert Cecil disait Elle est parfois plus qu'un homme et parfois moins qu'une femme.

Le film est différent du Elizabeth de Shekar Kapur en 1998, qui était une réflexion pertinente sur les arcanes de la politique elizabéthaine ; ici, l'intrigue se concentre sur le dernier amant d'Elizabeth, Robert Devereux, comte d'Essex, plus jeune qu'elle de 32 ans, et sur cette relation amoureuse souvent empreinte de familiarité (une scène montre Essex tapant sur les fesses de la reine, c'est sans doute vrai si on se fie aux moeurs de l'époque). Malgré cette différence d'âge, l'amour entre eux fut bien réel, même si cette relation a été enjolivée. Et d'ailleurs, on nous épargne le procès pour haute trahison qui s'est révélé dans la réalité bien plus sordide, il s'agissait d'une sorte de complot pour perdre Essex, fomenté par Robert Cecil et Walter Raleigh dont il était devenu l'ennemi. Tout ce déballage est camouflé sous une apparence romanesque, on a plus droit à des scènes intimistes entre les deux amants qui jouaient au jeu du "je t'aime, je te déteste". Le titre français du film n'est pas juste puisque le titre US spécifie bien que c'est la vie privée d'Elizabeth et d'Essex, et non pas de la seule Elizabeth.

Pour porter à l'écran cette passion fougueuse et orageuse, la Warner a déployé un luxe éblouissant dans les décors, les costumes, la figuration, un soin particulier dans la couleur, avec un Technicolor flamboyant et sirupeux qui met en valeur de façon grandiose tout ce décorum clinquant. On se croirait dans une production MGM. Enfin, elle a choisi ses deux plus prestigieuses vedettes : Bette Davis et Errol Flynn qui forment un duo stupéfiant. Si le film permet à Flynn d'être toujours aussi bravache et aussi le conquérant de sa propre légende, il est surtout un choc d'acteurs où les 2 stars s'affrontent sans vergogne ; on sait que le tournage fut très orageux, Bette Davis se sentait diminuée sous un maquillage "horrible" (mais relativement fidèle aux portraits de la reine à cet âge de sa vie), Errol Flynn apparaissait beau comme un dieu, et en plus elle aurait souhaité comme partenaire Laurence Olivier ; sa réticence à l'égard de Flynn a cependant contribué sans doute à donner au film une plus grande force. Le duo fait presque oublier un riche casting où l'on trouve Donald Crisp, Olivia de Havilland, Vincent Price, Henry Daniell, Alan Hale, Henry Stephenson, Leo G. Carroll... occupant des rôles cependant très secondaires.

D'un autre côté, Olivier aurait peut-être versé dans un registre très théâtral, ce qui aurait plombé le film qui au contraire se révèle très fluide, car le handicap initial justement, qui est l'adaptation d'une pièce de théâtre, a été pulvérisé par la mise en scène de Curtiz, tout à la fois spectaculaire et intimiste. L'opposition entre la cour d'Angleterre, avec ses intrigues de palais, ses courtisans comploteurs, leur lâcheté, et Essex le valeureux, téméraire, impulsif et très fier, est remarquablement mise en relief par le réalisateur qui ne perd jamais pied dans une production aussi luxueuse. Un très beau film.

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le 4 mai 2024

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