Tout holmésien, confronté à une nouvelle adaptation ou suite du canon établi par AC Doyle, est amené à retenir son souffle : Sherlock sera-t-il à la hauteur de la silhouette et de la voix que son imaginaire a fomentées au fil des relectures ? Watson saura-t-il offrir un contrepoint suffisant, et ne pas simplement servir de faire-valoir ? L'intrigue saura-t-elle mêler des références au canon et des rebondissements délectables ?

On sent Wilder pétri d'adoration pour l'oeuvre de Doyle et soucieux d'offrir à son héros l'écrin d'une aventure inédite, où comique et mystère s'entrelaceront à plaisir. L'ensemble est une véritable réussite : les clins d'oeil - et ce dès le générique d'introduction - se multiplient (l'étude des différentes sortes de cendres de tabac, des clins d'oeil ou jeux de mots sur les titres de certaines nouvelles... mais aussi la question cornélienne de la sexualité d'Holmes) et le choix et la direction des acteurs sont fort goûteux. Robert Stephens incarne un Sherlock d'une grande élégance flegmatique, Colin Blakely un Watson pétillant et jubilatoire, Christopher Lee un Mycroft à l'ironie saignante ; face à eux, Geneviève Page, l'étrange cliente du duo du 221 B Baker Street, charme par sa voix légèrement éraillée à l'accent délicieux.

Tout ce joyeux casting s'ébaubit dans une intrigue où disparitions, monstre du Loch Ness, brumes écossaises et services secrets de sa Majesté savent laisser place à de joyeuses scènes burlesques (Sherlock, confronté à une délicatesse proposition - faites-moi en enfant et je vous offrir un Stradivarius !-, a ces douces paroles : "Madame must not be too hasty. She must remember that I am an Englishman.You know what they say about us: if there's one thing more deplorable than our cooking, it's our lovemaking. We are not the most romantic of people. ").

Le passage d'une introduction piquante à une enquête qui, à la manière de Doyle, sait rassembler les différents fusils de Tchekhov disséminés au fil du récit, en déconcertera peut-être quelques uns, mais donne au film sa tonalité originale, celle d'un mélange entre aperçus inédits de la vie de Sherlock - sa misogynie, son détachement tout britannique, des éclairs de son passé qui illuminent sa personnalité- et une enquête oubliée qui révèle ses failles : "We all have occasional failures. Fortunately Dr. Watson never writes about mine.".

Les dialogues sont délicieux : oscillant entre l'absurde, le caustique, le none-sense tout britannique (la discussion autour de l'âge réel de Mme Petrova, notamment, ou la cocasse apparition de la reine Victoria) ou le simple plaisir d'un Verbe élégant et frondeur, ils parviennent également, entre deux sourires amusés, à distiller une curieuse mélancolie intimiste.

On ressort bizarrement ému de cet étrange film - les dernières scènes, probablement, qui bouclent, sur une note amère, la promenade amorcée par le générique- au charme indéniable (quand le plaisir de la narration sait rencontrer celui de façonner, à petites touches, un portrait plus humain et juste d'un héros populaire...) et à la réalisation élégante.
LongJaneSilver
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mister Wilder

Créée

le 21 nov. 2013

Critique lue 297 fois

5 j'aime

LongJaneSilver

Écrit par

Critique lue 297 fois

5

D'autres avis sur La Vie privée de Sherlock Holmes

La Vie privée de Sherlock Holmes
Torpenn
9

Blakely's thé

La Vie privée de Sherlock Holmes est un petit miracle à lui tout seul. Affrontant une légende aux adaptations multiples, il arrive à la fois à être fidèle à l'esprit du corpus et à démythifier...

le 11 juil. 2011

69 j'aime

66

La Vie privée de Sherlock Holmes
drélium
6

Cher Loch Ness

La première demi-heure est telle qu'attendue explorant magnifiquement le revers de la médaille du glorieux Holmes. Tout est très bien dialogué, et ça ne faiblira pas par la suite de ce côté là...

le 27 févr. 2012

30 j'aime

15

La Vie privée de Sherlock Holmes
raisin_ver
9

Critique de La Vie privée de Sherlock Holmes par raisin_ver

La vie privée de Sherlock Holmes est un film inclassable, oscillant en permanence entre la farce et le sérieux. On ne peut en effet rester de marbre devant ce film qui d'une certaine façon ridiculise...

le 13 juin 2011

19 j'aime

7

Du même critique

Certains l'aiment chaud !
LongJaneSilver
10

Wait for Sugar !

Je crois que c'est le premier Wilder que j'ai vu, enfant, grâce à la grand-mère d'une amie, qui nous montrait de vieux films avant de nous emmener au conservatoire. J'imagine que c'est pour cela que...

le 24 nov. 2013

56 j'aime

1

La Confusion des sentiments
LongJaneSilver
9

Ton Zweig.

C'était ton Zweig préféré. Celui que tu ne pourras plus lire. Tu ne m'as jamais su m'expliquer, pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre, tu m'as juste fait lire chacun de ses livres, les uns après les...

le 15 août 2015

49 j'aime

La Colère des Titans
LongJaneSilver
1

La colère des profs de latin

Il y a ce moment difficile, dans la vie d'un prof de latin, où il faut détricoter les "adaptations" modernes de la mythologie, expliquer que non, Pégase n'est pas l'allié d'Hercule comme le conte...

le 4 déc. 2013

24 j'aime