Qu'une oeuvre déplaise, cela est compréhensible. Dénigrer son thème, ses acteurs, sa réalisation, son propos, voilà qui touche à une sensibilité bien personnelle, qui se dispense d'argument, et d'ailleurs de toute sorte de défense. Mais il est tout différent de ne pas apprécier une oeuvre, et d'en être agacé. Ceci s'explique simplement : l'insupportable émerge toujours de la prétention, du point de vue arrêté, de la pensée enfermée, droite, niant toute aspiration, échappant à toute contradiction. La fiction n'est que peu révélatrice de cette posture de l'auteur, de la fermeté de son point de vue, et de l'espèce de malhonnêteté qui vient comme visser les quatre coins du cadre, et bloquer la possibilité d'une autre réalité que celle présente en son sein. C'est le documentaire, peut-être le moyen le plus délicat d'aborder la « chose réelle », qui constitue l'entreprise la plus risquée, dans cette simple mesure où le prétexte de la fiction est maintenant absent pour déformer la réalité, la faire mentir. Le propre d'un document est qu'il doit être authentique ; même s'il est une copie, il doit être une copie de l'authentique. L'appréhension d'un domaine particulier nécessite qu'on s'intéresse à tous les domaines qui y sont liés, en somme à la totalité de la structure qui le fonde et le perpétue. Ainsi d'un sujet de départ, il est tout à fait possible d'arriver, au milieu du métrage, à un sujet tout autre, sans pour autant qu'il se délie du premier, mais pouvant le faire changer de forme. C'est le cas de La vierge, les coptes et moi.

On s'attend facilement, dès les premières minutes du film, à ce que l'espèce de double point de vue du fils de famille et du documentariste ne constitue qu'un ornement original et pourquoi pas divertissant au propos général. C'est ce qui se confirme tout au long de la première demi-heure, où s'enchaînent les charmantes scènes de la mère, les recherches auprès de l'évêque farouche et les diverses opinions au sujet des apparitions de la vierge, tantôt exprimées par des coptes, tantôt par des musulmans. L'image léchée et calibrée laisse suggérer que l'approche à proprement dite documentaire demeure relative, et le commentaire qui la suit appuie cette juste méfiance du spectateur à l'égard des raccourcis outrageants opérés par exemple lors de la messe copte, ou bien dans le résumé de la situation désespérée pour obtenir la moindre information prégnante au sujet des apparations de la vierge, dans l'emploi de ce mode opératoir totalement anti-cinématographique qu'est le montage en champ / contre-champ d'une conversation sur skype. Bref, il est absolument clair que Namir Abdel Messeeh n'a aucunement l'intention de restituer une réalité authentique en tant que telle. J'insiste sur cette formule, parce qu'il n'en a pas moins fait le choix de restituer une certaine réalité, qui n'est pas celle habituelle du documentaire, et dont seul le visionnage complet du film, et une vue générale sur le métrage, pourra nous rendre compte.

La surprise du spectateur n'est pas mince lorsque le thème du film est bouleversé par la nouvelle et exclusive focalisation choisie par Namir Abdel Messeeh sur sa famille. Simple visite au milieu d'un tournage trop complexe à gérer ? C'est bien possible. Seulement, l'émotion fut telle dans la découverte de ce minuscule village qui échappe aux pressions de la ville, qu'elle lui est apparue soudain comme une illumination, le seul chemin valable pour traiter un sujet qui varie selon les consciences, et qui se tient hors de toute objectivité. Dans ce petit village, non seulement l'aspect autobiographique de l'oeuvre prend toute sa densité, mais il s'y trouve en plus de cela, tous les courants de pensées insaisissables dans le brouhaha urbain, concentrés dans le microcosme de quelques habitations. Peu à peu l'intérêt accordé aux choses concrètes, c'est-à-dire à ces visages depuis si longtemps absents à ses yeux et que sa mémoire retrouve mûris, s'accroît, pousse lentement, et délaisse absolument une apparition toute hypothétique d'une femme dont l'existence-même n'est que peu certaine. Le réalisateur découvre là sa véritable ambition, dissimulée depuis le départ sous un prétexte creux. Toute la beauté du film commence à l'instant où le producteur décide de cesser le financement du film, justement parce que la véritable voie est découverte, et que les choses véritables sont rarement choses d'argent.

Namir Abdel Messeeh démontre l'absurdité essentielle de son entreprise, et l'insuccès évident du film qui en naîtra. Son commentaire n'a rien de poétique en soi, les réprimandes de sa mère ne sont pas misérabilistes, ses relations avec les membres du village ne sont pas, comme on pourrait le croire, qu'une série de vulgaires mises en scène. L'humilité est totale, le réalisateur assume son acte, sans aucun fard, sans le moindre ornement ; tout est montré tel quel. Voilà ce qui crée la poésie et la beauté de ce film. Une scène assez courte, mais peut-être aussi l'une des plus belles du métrage, illustre à merveille cette modestie fondamentale du propos, lorsque Namir Abdel Messeeh discute avec la vieille femme sénile de sa famille, qui, se mettant à regarder vers le haut, voit aussitôt descendre la perche par la main même du réalisteur. Le geste s'effectue avec une évidence telle, et un imprévisibilité si flagrante, qu'il est impossible de croire ici à une mise en scène.

Financé par sa mère, et jouissant malgré une cascade de reproches d'une liberté totale de direction, le réalisateur choisit de revenir au sujet des apparations de la vierge, et comme acte d'ironie suprême, d'en avouer toute la superficialité en la mettant en scène. Peu importe le crédit apporté à ces apparitions, peu importe tout ce qu'elles peuvent avoir de réel ou d'inventé : l'intérêt premier, ce sont les hommes, les femmes, les enfants qui autour s'affairent, se disputent, rient, courent, parlent. L'humanité, la voilà l'apparition miraculeuse tant attendue par Namir Abdel Messeeh.

Le final de ce film, car il semble bâti sur le modèle d'un concerto, ponctuant mouvement lent, mouvement vif, adagio lyrique, est celui de la projection du film montrant l'apparition telle que le réalisateur la concevait au départ, et qui, sous les gestes grâcieux des mains du chef d'orchestre, se traduit en apogée dans les visages submergés de bonheur des villageois, hommes, vieillards, femmes, impossibles à distinguer de ceux des enfants, car tous aussi émus par ce bonheur puéril, à la fois minuscule et gigantesque d'avoir été ensemble.

Qu'importe de donner à ce film nom de fiction ou de documentaire, qu'importe les maladresses de réalisation, les compositions bancales, les plans trop vite coupés, les quelques longueurs. La vierge, les coptes et moi est avant tout un film d'une grande simplicité, et qui a pour thème le sourire. Ce film ne fait qu'affirmer tout ce qu'il a de profondément humain en boitant légèrement. Namir Abdel Messeeh est de cette rare catégorie d'hommes humbles et philanthropes, capables de dire au milieu de leur œuvre, comme l'a fait Chris Marker dans Sans soleil : « Je salue le miracle économique, mais ce que j'ai envie de vous montrer, ce sont les fêtes de quartiers. »
Rozbaum
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le 11 sept. 2012

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