“It’s a free country, isn’t it ? Marjority rules” : après l’uppercut de L’Etrange incident, on peut imaginer la portée d’une telle sentence dans un film de Wellman. La majorité en question, c’est celle d’un groupe de bandits qui, au terme d’une cavale déraisonnée, se retrouve dans une cité fantôme, dont l’une des pancartes à moitié arrachée affirme fièrement « La ville à la plus forte croissance de l’ouest ».
Ce décor de ruines est la métaphore idéale pour le pessimisme du cinéaste : il matérialise tout d’abord les ravages et les illusions d’une conquête d’un espace sauvage, et que la bande en question a déjà pratiquée en traversant un désert mortel. A ceux qui hésitaient, le leader Gregory Peck avait répondu : “It’s just a place. A place can be crossed”. Cette arrogance gangrène le récit tout entier, car la ville abandonnée est aussi le terrain idéal pour laisser s’épancher, à l’écart des lois, toutes les convoitises. L’eau, bien entendu, mais aussi et surtout le petit duo qui pensait pouvoir prospérer à l’abri de la brute humaine, à savoir une jeune femme et son père. L’or et la chair s’ajoutent donc à l’excitation du désir et vont désagréger le groupe.
Le décor fait tout : la ville est un centre névralgique vide, le climat y est hostile. La nature y est versatile : minérale (de très beaux plans d’ensemble sur les falaises environnantes, qui rappellent bien des films d’Anthony Mann) et acerbe, elle offre aussi deux sources : l’eau, et, bien entendu, les filons dorés.
La Ville abandonnée n’a cependant pas la force des autres westerns de Wellman, la faute à un rythme un peu plombé sur son milieu, malgré une belle cavalcade initiale, dynamique et aux angles assez audacieux. Le couple central ne convainc guère : on reste dans cette image d’une séduction qui fonctionne par la force et à laquelle la femme finit par succomber, permettant la rédemption à gros traits du personnage de Peck, entre patriotisme et main sur la Bible.
La dernière partie permet tout de même de relancer un peu son intérêt : par une intrigue qui permet une sorte de braquage inversé, où il s’agit de restituer les richesses volées, et surtout, un habile jeu avec l’obscurité pour une fusillade dans des lieux dépourvus de lumière : le duel final se pare ainsi d’une opacité tout à fait stimulante et permet à Wellman d’exercer son talent qu’on a tout de même connu plus flamboyant sur d’autres opus.
(6.5/10)