"La Ville sans Juifs" est un film un peu étrange, un de ceux dont l'intérêt historique dépasse de loin la portée cinématographique. C'est l'adaptation d'un roman (probablement plus intéressant que le film) de Hugo Bettauer, qui fut assassiné en 1925 par un militant nazi au terme d'une violente campagne à son encontre. La cause : il s'agit d'un pamphlet dénonçant de manière satirique l’antisémitisme grandissant de la société autrichienne dans les années 20. Le film transpose le cadre géographique (clairement identifié dans le livre) dans une république imaginaire baptisée Utopia, dans laquelle le gouvernement décide de bannir les Juifs sous prétexte qu'ils seraient la cause de tous les maux de la société et sous la pression de la population ainsi que d'une partie des députés.
Même s'il s'agit d'une fable et même si les intentions sont difficilement critiquables, on peut trouver étonnant, avec le recul aiguisant un regard anachronique sur les événements, que toute la critique de l'antisémitisme se fasse à travers le prisme économique. Une fois les Juifs expulsés, le désastre est présenté sous la forme d'une absence de changement, au mieux, et au pire dans l'aggravation de la situation. Chômage et misère sont toujours bien présents dans la société purgée de sa communauté juive, et la légitimité de la présence de cette partie de la population à l'intérieur du pays ne se fera qu'à l'aulne d'arguments comptables. Les Juifs , désormais à l'étranger, boycottent les produits (de luxe notamment, dans le film) provenant d'Utopia, nuisant ainsi gravement à son économie. Ce déclin économique sera l'unique moteur de l'abrogation de la loi stipulant l'expulsion des Juifs, sous la pression d'un mouvement populaire qui aura été la première victime de la baisse d'activité. Il y a bien une amourette entre une citoyenne d'Utopia et un Juif qui sera contrariée par cette expulsion, mais on ne peut pas dire que l'accent soit mis sur la dimension tragique du point de vue humain. Quelques belles scènes d'exode, rien de plus.
Le récit fait certainement référence à la situation de crise économique que vivait l'Autriche d'alors, mais mis à part quelques séquences vraiment inspirées (un député antisémite se retrouve projeté dans une clinique psychiatrique aux décors vaguement cubistes à la faveur d'un cauchemar, avant de se réveiller sur un comptoir), le film n'a pas beaucoup de matière cinématographique à offrir. Cela reste néanmoins un témoignage intéressant de l'état d'esprit et des craintes de l'époque, comme toujours.