Ah, le tourisme cinématographique, quel fléau ! C'est au tour de Rachid Bouchareb de satisfaire sa faim de grands espaces et de cow-boys au grand coeur en transposant ses apatrides d'Indigènes à la frontière mexicaine, où Forest Whitaker vient d'être relâché après 18 ans de prison pour se retrouver dans un monde où il a perdu respect, famille et repères. Dès l'ouverture lourdement opératique, on sent que folie des grandeurs et délocalisation sont allées main dans la main : La Voie De L'Ennemi sera tragédie moderne épurée et grandiose ou ne sera pas. Hélas, on aurait préféré qu'il ne soit pas, tant ces deux heures sont longues et empesées : prévisible et d'une solennité assommante, le film s'éparpille et affecte une lenteur céremonieuse qui l'énerve totalement, rendant l'engrenage de colère rentrée et de rejet dans lequel est pris son protagoniste répétitif e dénué de tension dramatique. Penaud devant ses monstres sacrés (Whitaker et Keitel frôlent l'auto-parodie, le premier plus encore que dans Zulu, réalisé par...Jérôme Salle) et emprunté devant l'immensité fascinante de son décor, Bouchareb joue les enlumineurs et met en images un scénario qui à l'écran paraît horriblement sur-écrit : la love-story plan plan, les ambivalences sans profondeur des personnages (celui de Keitel en tête) pour injecter une ambiguïté factice, chaque scène relève davantage de l'intention que de la chair, et paraît moins vitale que provoquée par les trop nombreuses plumes (trois scénaristes dont la romancière Yasmina Khadra) convoquées. Paysagiste transi, le metteur en scène se fait ainsi plus illustrateur que conteur : pas étonnant dès lors que La Voie De L'Ennemi soit plus décoratif que contemplatif, et plus anémique que opératique.