Une forme assez brute pour une sensibilité hautement délicate. Un lointain parallèle à faire avec "Maria's lovers" (bien qu'il n'y ait pas le poids de l'idéalisation ici). Langage métaphorique (forestiers arrachant au ralenti des souches d'arbres, peut-être en lien avec la souffrance inhérente à la vie terrestre puisqu'il est évoqué en parallèle la conscience de la mort symboliquement absente chez les poissons; ou manoeuvre collective d'une grande roue du temps sur un bassin à rondins en préambule...), souvent elliptique (champ de bataille éludé, devenir de certains membre de la famille raconté par le seul emploi de photos...), onirique, poétique (suicide fantasmé, la végétation qui envahit presque les intérieurs de maison comme dans "Mère & fils"). Emploi d'une image le plus souvent noir & blanc, parfois jaunie ou tirant sur des couleurs passées (variation probablement due à la précarité du tournage). Musique évoquant une passion, issue du répertoire de Penderecki et Nussio. Fondus enchainés très doux dans les champs /contrechamps lors des retrouvailles du couple (scène qui est rappelée fugacement à deux reprises par la suite, dont l'innocence et la promesse de bonheur conjugal dialoguent avec l'accablement psychologique de Nikita). Quelques prouesses visuelles: longue course éperdue et angoissée, irréelle, de Nikita suivie en plan serré (caméra auto-portée ?); le père s'étonne que son fils revienne du combat sans blessures, s'intercale alors une scène indistincte au ralenti, suggérant la souffrance, un animal écorché (?), puis le visage face caméra d'un soldat au front, tête à l'envers, se détachant d'un horizon sombre contrasté N&B, abstrait; plan qui sans coupure et par un mouvement d'appareil aérien revient sur Nikita assis dans sa maison (étonnante torsion de l'espace-temps !). On trouve aussi cette séquence en ville cauchemardesque où Nikita, frappé par on ne sait quel agresseur, semble agonir dans le fond d'une cour (un plan très étiré évoquant Tarkovski). Le gardien du marché, une tripière, en sont les témoins impuissants, des images de carcasses animales ensanglantées s'intercalent, Nikita agite peu après un balai dans une large flaque réverbérante. Etonnantes considérations sur la mort et le désir de vivre avec un pêcheur (Charon ?), sur sa barque, non dénuée d'ironie, très noire (en substance "La mort se pourrait bien être agréable, puisque personne s'en est plaint" !). Nikita, suite à cette conversation s'immerge dans le fleuve/étang (davantage acte pour retrouver la foi plutôt que métaphore d'invulnérabilité - Styx - qui n'aurait pas de sens ici). D'ailleurs cet étang est plutôt associé à cet ermite qui y fait ses ablutions.
Un film étonnant, très "pur", rèche, dur, sensible, qui évoque aussi la disparition d'un monde ancien, l'éternelle Russie, après la Révolution.