La voyageuse du titre, c’est Iris (Isabelle Huppert), Française un peu égarée en Corée du sud. On ne sait pas comment et pourquoi elle se trouve là, ni depuis quand. On comprend juste qu’elle a trouvé le moyen de gagner sa vie, en donnant des cours de langues, de français d’après ce qu’elle dit en expliquant qu’elle a mis au point une méthode personnelle. Or, elle parle et échange beaucoup plus en anglais qu’en français, ce que nous observons successivement avec plusieurs de ses élèves.
On s’interroge et on s’amuse, parce que le même dialogue revient systématiquement. La seule variation d’un tête-à-tête à l’autre, c’est que chaque élève joue d’un instrument de musique différent. Concrètement, nous observons Iris faire parler ses élèves pour les familiariser avec la langue, relancer régulièrement le questionnement pour les inciter à s’exprimer, donc pratiquer la langue. L’étrangeté de la situation vient du fait que ces échanges se font en anglais et surtout que les élèves d’Iris jouent le jeu.
Hong Sang-soo utilise donc à nouveau une méthode qui le caractérise, en exploitant un dispositif franchement minimaliste pour nous déstabiliser. Ainsi, hors contexte, ces scènes de conversations sont d’une grande banalité. Le casting est évidemment réduit, avec Kwon Hae-hyo en quasi figurant et Isabelle Huppert en tête d’affiche qu’on ne voit même pas tout le temps, dans un rôle où elle n’a pas grand-chose à faire sinon rester elle-même. On remarque néanmoins qu’elle se montre parfaitement naturelle dans chacune de ces séquences jumelles. Ce dispositif permet à Hong Sang-soo de tourner avec un budget qui, une nouvelle fois, doit être ridiculement faible par rapport aux besoins d’autres cinéastes : quelques intérieurs, des cadres naturels comme on peut en trouver un peu partout, et deux-trois lieux urbains avec un minimum de personnages dans le cadre. Visiblement, ce qui l'intéresse, c’est de prouver une nouvelle fois, qu’il suffit de pas grand-chose pour faire un film surprenant. L’inconvénient, c’est qu’on peut arriver à la conclusion qu’il se contente de mettre en place ce dispositif original, quitte à nous laisser sans clé d’interprétation, si tant qu’une telle clé existe. Ainsi, on peut se demander ce qu’il a tête lorsqu’il présente la longue séquence de la dernière partie, celle sans Iris, mais avec un de ses élèves, probablement étudiant, qui reçoit sa mère encore jamais venue dans l’appartement qu’il occupe visiblement grâce à la générosité de sa famille. J’y vois la confirmation du statut d’Iris, Française tombée du ciel dont on ne sait rien. Une femme pas toute jeune (Isabelle Huppert, 71 ans à la sortie du film en janvier 2025) qui laisse son élève en tête-à-tête avec sa mère par souci de discrétion. Or, ce tête-à-tête s’éternise, car la mère considère que son fils agit avec la légèreté et l’inconscience de son jeune âge. Et, comme il laisse parler sa mère, le ton monte à tel point que cela devient gênant. Pourtant, tout ce que montre le film fait d’Iris une personne certes très difficile à cerner, mais parfaitement inoffensive.
La voyageuse est donc un film non sans charme, fait pour intriguer. Situé en Corée du sud, il nous en apporte quelques éléments qui s’avèrent anecdotiques. Surtout, il nous laisse avec quelques questions sans réponses. Pourquoi le dialogue avec les élèves d’Iris se répète-t-il ? La seule explication que je vois se résume à la formule « Même cause, même effets » qui ironiserait sur la méthode d’Iris. Quant à la longue séquence sans Iris, j’y vois surtout la manifestation de l’agacement vis-à-vis de ce qu’on ne comprend pas (reflet de ce que produit le film ?) même s’il n’y a pas de quoi fouetter un chat.