La lente agonie de la famille Ricoré

Gorgeart parvient très bien à montrer l’attachement puis la domination des émotions chez la mère-femme, incarnée par l’excellente Mélanie Thierry, incarnant une douce et détestable Anna, tout en montrant subtilement la domination d’une approche éducative et sociale bourgeoise, renforcée par la publicité et les clichés.

D’emblée Gorgeart nous montre une famille Ricoré, idéale et fantasmée, et nous plonge dans l’embarras : comment regarder ces images dégoulinantes de pathos, trop artificielles pour être celle d’une vraie famille ? La fin nous le dit, qui remet les choses dans l’ordre : filmé en plongée, le père sort du centre commercial avec un simple casque acheté à son fils, qui ira certainement faire un peu de vélo avec lui ; le gamin sourit, excité à l’idée d’étrenner son nouvel accessoire. Certes il y manque une figure maternelle, mais le bonheur est là : on peut se sentir aimé, naturellement, sans excès ni passion incontrôlée, sans abondance, ni matérielle ni sentimentale. De l’autre côté, en haut du centre commercial (de l’échelle sociale), la famille idéale est au complet, un père parfait, une mère aimante et éternellement non comblée, deux enfants. Chacun à sa place et c’est bien comme ça.

Pourtant que le chemin fut long pour arriver à cette scène. Il nous fallut avant voir s’effondrer peu à peu le mythe de la famille Ricoré, assister à sa lente agonie - non sans plaisir, avouons-le. Car cette femme-mère ne peut que susciter l’aversion : mère déjà de deux enfants, elle cède à un sentiment d’appartenance primaire, refusant de « rendre » l’enfant qu’elle a accepté d’adopter temporairement, comme une gamine qui ne veut pas rendre sa poupée, et devient menteuse et manipulatrice, sans respect pour le père naturel ni pour l’enfant, prétextant honteusement qu’elle ne veut que le bonheur de l’enfant alors qu’il ne s’agit que de soulager un égoïste besoin d’amour - son mari et l’assistante sociale ont beau le lui faire comprendre, elle ne l’accepte pas - irrationnalité de la passion.

Certes Gorgeart, voulant épargner de tout jugement négatif Anna, la comprenant et montrant même de l’empathie à son égard, n’est pas toujours très clair dans son message. Cependant, un tournant s’opère lorsque Anna refuse, selon toute logique, de suivre le processus institutionnel et veut contourner la règle en raison de la toute-puissance maternelle (largement admise dans nos sociétés soi-disant machistes) et du pouvoir matériel dont elle jouit sciemment et crânement. On imagine bien le parallélisme avec des situations de séparation de couple.

Gorgeart refuse donc tout pathos, embrasse la question avec complexité et subtilité et remet en question la conception traditionnelle de la famille.


Marlon_B
8
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le 17 nov. 2024

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Marlon_B

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