La Zone d'intérêt a sur le papier un concept que je trouve génial. Filmer, montrer la vie, les vacances dans la maison paisible d'un foyer allemand vivant juste à côté du camp d'extermination d'Auschwitz. Voilà qui promet quelque chose de fort, de brut, de marquant.
Et d'un certain côté, le film sait bien exploiter le malaise qui découle de son cadre. La musique et l'ambiance sonore, dès le départ, marquent l'angoisse de cette dissonance cognitive. On a d'une part des rires d'enfants, une petite musique mignonne et entraînante d'époque, ou le chant des oiseaux, le bruit des vagues, et d'autre part, des coups de fusil, des cris, ordres, lamentations indistinctes, et ces drôles de gongs ou bruits malaisants que l'ingé son a saupoudré çà et là dans le film. (Un bruit un peu métallique et froid, comme dans un vieux film de SF ?)
La mise en scène, le cadrage reproduisent aussi cette dissonance terrifiante. Par exemple, le plan où la femme de maison montre ses jolies plantes, son joli jardin, la piscine etc à sa mère (si je me souviens bien), émerveillée devant ce jardin paradisiaque. Et l'image est découpée en deux : en bas le joli jardin, en haut on aperçoit le camp d'Auschwitz. Il y a certains plans comme celui-là, qui sont très éloquents. On pense au grand garçon qui joue avec des dents, ou à d'autres plans de la femme qui déambule dans son jardin pendant qu'on voit, parfois même qu'on entend, le camp.
Ce camp est présent en toile de fond tout le long, et transparaît aussi dans les discussions des personnages. On se demande ce qu'est devenue telle ancienne fréquentation, juive, dont on a voulu obtenir les possessions aux enchères, on rit de tel ou tel objet qu'on a voulu obtenir... Ce côté-là était assez terrifiant : les personnages parlent des personnes exterminées comme d'objets. Comme des objets dont les femmes parlent de tirer des vestes, des chaussures, des rideaux. Comme des objets que les hommes prévoient d'empaqueter dans des chambres à gaz, en prévoyant le plan le plus efficace pour optimiser l'extermination. La froide raison va s'insinuer dans les personnages, jusqu'au point où le père se demande, pendant une réception, comment il pourrait, techniquement, gazer la salle. Comme ça, c'est le genre d'idée qui lui traverse l'esprit.
Ce concept est génial, mais finalement, il tient assez mal sur 1h45 car rien d'autre ne vient l'alimenter.
Je crois comprendre que ce n'est pas un film fait pour être divertissant (parce que franchement, 1h45 de Mama Nazie qui fait la liste de ses tartes aux coings à prévoir, et de Papa Nazi qui veut pas être muté à Berlin pour son taf, ce n'est pas passionnant), je crois comprendre que le but est une réaction choc face à la brutalité de ce mal banalisé, ce mal intégré par les personnages dans leur vie normale, paisible, au détriment de la vie, de la dignité, du statut humain de millions de pauvres âmes.
Je comprends tout à fait ce parti pris esthétique, mais il ne m'a pas touché. Le film se veut refuser le sentimentalisme mielleux, ce qui est intéressant, en effet on a pas besoin de violons pendant deux heures pour ressentir le drame de la situation. Mais il pousse dans l'excès inverse : une réalisation froide, glaciale, avec des personnages impassibles et hautains. (Mais des personnages, excusez-moi, qui sont d'un chiant au possible. Sans âme, vides, sans consistance. Je pense que le film aurait été bien plus poignant si on avait pu se reconnaître, se voir dans ces nazis, et être troublés de ce qu'on partage avec eux. Là, non, ce sont juste des gens chiants, ennuyeux, normaux, on ne les aime pas, on ne veut pas les aimer, on se dit juste que ce sont des connards superficiels, et on ne ressent pas tant de dissonance cognitive : on les déteste, c'est tout. Ils ont juste choisi des bourgeois hautains, c'est facile de détester les bourgeois hautains.) Cette froideur, d'ailleurs, est parfois contrebalancée par des choix esthétiques qui sont grotesques, et justement viennent presque faire "sentimentalisme mielleux" au sein de cette volonté de provocation. Le gros zoom sur les fleurs, en entendant des cris en fond, avec un fondu qui passe au rouge. Je trouve ça un peu neuneu quand même. Un peu "regardez han je suis trop un réalisateur arty han, c'est trop de l'art tavu le rouge c'est le sang han".
Après, c'est peut-être que je suis sensible davantage au bon verbe (on n'en a pas trop dans ce film) qu'à la bonne image (on en a davantage, parfois avec trop d'insistance). Tenez, par exemple, les scènes où la fille (qui est-elle ???) va mettre des pommes dans le camp, qui est filmée en négatif (ou effet bizarre). Je suis désolé, mais ça fait vraiment "regardez je suis artsy donc je filme en négatif han"). Le négatif représente le monde de la nuit, de l'interdit, de l'entrée dans le camp, dans l'horreur ?
Je trouve que ça pousse à la prétention.
La banalisation du mal, de l'horreur est un grand sujet, qui pour moi ici est sans cesse évoqué par les plans, mais mal traité sur le fond. Pire, je trouve que le film banalise cette banalisation du mal. On finit par voir une routine, ennuyeuse, de personnes qui horribles. Et on a aussi cette désagréable impression, que comme ce n'est pas touchant, ni beau, ni émouvant, on a simplement un message politique, qui certes est intéressant. Mais on n'a que ça.
Bref, je crois que je comprends pourquoi ce film peut susciter un engouement, mais pour moi c'est vraiment du concept plutôt que de l'application. Le concept est génial, aurait fait un court-métrage ahurissant, et fait un long-métrage pompeux et ennuyeux. C'est dommage, car certaines scènes sont géniales. Je pense à cette scène où le grand frère enferme son petit frère, qui évoque beaucoup de choses sur l'humain.
Mais la fin...
Le père qui tousse, bon. Symbole du monde nazi qui va s'écrouler ?
Je n'ai peut-être pas saisi la métaphore, si ça se trouve je suis con depuis le début.
Un film donc au parti pris intéressant, mais qui reste totalement sur les acquis de son pitch initial, et ne propose qu'un long exposé pompeux, prétentieux et ennuyeux, avec quelques idées originales et intéressantes noyées dans un ennui profond.