Faire de l'art avec l'indicible n'est pas une partie de plaisir, encore plus quand l'éthique s'en mêle ou que de vieux séniles vous parlent d'abjection à l'aune de leurs petites règles personnelles à l'horizon bas.
Laissant une « zone d'intérêt » plus que restreinte pour les œuvres voulant aborder la question des camps de la mort.
Dommage que l'on n'adopte pas ce même luxe de prudence face à la haine décomplexée de notre triste réalité sur cet aspect, mais il s'agit là d'un autre débat.
En s'emparant d'une thématique aussi brulante, Jonathan Glazer divisera, à coup sûr. Tout comme par son approche. Car il choisit de poser sa caméra à côté du drame. Car il choisit de reléguer l'horreur hors-champ.
Et épouse le point de vue de cette famille, voisine immédiate, filmée dans un quotidien en forme de mécanique de l'ombre, qui vit comme si de rien n'était. Un cadre quasi exclusif où rien n'est plus normal que de goûter chaque petit moment d'une vie normale, de faire abstraction de ce qui se passe au delà du mur et des barbelés qui le coiffe.
Dans un environnement en forme d'eden aussi beau qu'obscène, qui hurle tant et plus que non, décidément, il ne se passe rien d'anormal ici. Ainsi, on reçoit des amis et de la famille, on fête un anniversaire et reçoit des cadeaux. Le personnel de maison s'affaire, tête basse.
Comme une bulle hors de la réalité.
Glazer répète ses plans et ses axes, les habitudes de vie de sa famille de monstres très ordinaires, les fait parler sans ambage de confort social fondé sur le sang et les cendres, de déménagement et de promotion professionnelle d'une voix grise.
Mais cette répétition et cette monotonie apparente dessinent en creux une autre forme de claustration, douce, bercée, qui crée dans un même temps le malaise et une certaine forme d'hypnose mentale dérangeante soutenue par le fond sonore discret des cris, des bruits d'arme à feu et quelques brefs passages d'une musique dissonante des plus inconfortables.
L'horreur est donc là, flottante dans l'air, pénétrante comme l'odeur des fumées et les cendres qui se déposent partout. Une horreur industrialisée, dont on ne parle qu'en termes de statistiques, de cadences et d'efficience des pratiques mises en œuvre.
Une horreur mentale qui requiert la participation du spectateur, à qui n'est donné que quelques indices et images fugaces pour se représenter toute la tragédie de ce funeste voisinage.
Et si certains vous diront qu'il ne s'agit que d'épate et d'exercice de style, ils seront peut être fait du même bois, à bien y réfléchir, en se montrant capable de faire abstraction de l'horreur.
Behind_the_Mask, en plein trouble anormal de voisinage.