Lorsqu'il met en scène Lacombe Lucien, Louis Malle prend le risque de regarder dans le rétroviseur une partie sombre de l'Histoire, et d'examiner le passé des collaborateurs de la France pétainiste et antisémite.
Le sujet est difficile et Malle va surtout s'attarder sur le portrait psychologique d'un jeune paysan qui va peu à peu tomber dans la collaboration et la police nazie alors que la fin de la Guerre approche. Il montre une certaine finesse, insiste sur la naïveté voire l'ignorance de ce jeune homme agissant sans forcément avoir conscience des ses actes, mais dans le même temps, n'hésitant pas à faire preuve d'un certain sadisme et d'un intérêt à montrer son autorité. Pourtant Louis Malle ne se pose pas en juge, ni ne cherche à tout prix à expliquer les actes de son personnage, mais tâche seulement d'en faire un portrait juste, celui aussi d'un gamin se sentant abandonné et qui va agir par instinct.
D'abord rejeté par les maquisards lors de son jeune âge, il va vivre une certaine descente aux enfers idéologique, et Malle se montre habile pour sublimer un bon scénario et mettre cela en scène avec sobriété. L'atmosphère est prenante, souvent plombante et faisant froid dans le dos à l'image des thématiques étudiées par le cinéaste, notamment lorsqu'il sonde l'âme humaine, pouvant être nauséabonde (ce qui ne se limite pas à Lucien, à l'image des tableaux qu'il dresse lorsqu'on découvre chaque personnage ou lorsque les lettres des collabos sont lues), attirée par l'argent et le pouvoir, lui permettant aussi de faire des paraboles entre les époques.
Il montre surtout que ce temps a bien existé, ce qui suffit à être effrayant, et surtout qu'on est loin de l'image du combat du bien contre le mal souvent véhiculée. La reconstitution est assez bonne, inscrivant ce récit dans sa triste réalité et montrant bien ce qu'était la vie à la campagne, ainsi que la violence pouvant devenir ordinaire pour certains. Devant la caméra, Pierre Blaise est bluffant, proposant une partition d'une rare justesse lui qui décédera malheureusement peu de temps après la sortie du film, sachant aussi donner une légère teinte d'émotion à son personnage, malgré tout, et il est accompagné par des seconds rôles souvent justes et en adéquation avec l'atmosphère générale de l'oeuvre.
En signant Lacombe Lucien, Louis Malle propose une vision glaçante, abjecte et malheureusement réaliste d'une partie de la France durant la Seconde Guerre mondiale, créant des portraits forts, une atmosphère plombante ainsi que saisissante et se montrant d'une rare justesse et intelligence derrière la caméra.