Lan Yu, Histoire d'hommes à Pékin, de Stanley Kwan (2001)

À Pékin en 1988, Handong, un homme d’affaires prospère mais secret, croise le chemin de Lan Yu, un jeune étudiant prêt à tout pour survivre. Leur rencontre inattendue bouleverse leurs vies alors qu’ils explorent ensemble des territoires inexplorés de désir et de passion.


Adapté d’un roman pornographique gay écrit de manière anonyme, Stanley Kwan fait le choix de rendre son oeuvre filmique plus intime en lui insufflant une dimension brute et réaliste. Sans jouer la carte du spectaculaire, aussi bien dans sa représentation du sexe que dans sa structure narrative, le réalisateur privilégie la sobriété. Le sujet lui est trop personnel pour dériver vers le porno véritable.


Le choix de remanier le bouquin de manière plus suggestive s’est donc dressé naturellement dans l’esprit du cinéaste, qui, depuis 1996, parle publiquement de son homosexualité.

Les corps sont filmés à la fois de manière très crues avec l’accent mis sur la nudité, mais de l’autre, le spectateur est tenu à distance par la caméra souvent éloignée de ses personnages lors des scènes intimes. La passion se confronte à l’envie qu’a le réalisateur de ne pas rentrer dans une sexualisation trop précise, préférant illustrer de manière sérieuse et consciencieuse l’impénétrabilité de leur idylle.


Contrairement à Center Stage où Kwan se permettait d’illustrer directement le contexte historique sans qu’il est un réel impact au sein du récit, ici, sa représentation est justifiée. Le duo évolue par rapport aux changements sociétaux.


Le film, par ses ellipses brusques, semblent ne donner aucun intérêt à ce qui n’est pas passion, omettant le reste de l’existence des personnages. Le sujet, c’est eux, comme s’ils formaient un corps unique. Les seuls repères que nous avons pour se donner une idées de la grandeur des ellipses sont matériels, avec les évolutions technologiques mais aussi historiques, avec les tensions présentes, notamment celles liées à la place Tiananmen.


Elles ont un caractère inéluctable, donnant un cachet tragique et fataliste à une œuvre se voulant pourtant proche du réel. Donnant l’impression que l’amour homosexuel n’a quoi qu’il arrive pas sa place dans la société hongkongaise, et qu’il n’a donc aucun avenir véritable. Le contexte est constructeur du mélodrame à venir, car Kwan a beau vouloir aborder son film avec une approche intimiste, il est obligé de lui donner une dimension « plaidoyer ».


Il est quasiment impossible de ne pas penser à Leslie Cheung, grand acteur et chanteur hongkongais gay, qui s’est suicidé quelques courtes années après la sortie de ce film, à cause de l’homophobie. Le côté défaitiste se confronte au caractère mutatif de la société qui nous est présentée, venant briser les derniers espoirs de vivre ensemble, dans l’immédiat de l’époque.

L’attente, le moment où cet amour sera reconnu, n’est pas maintenant, mais une illumination apparait, représentée par le fossé générationnel entre Lan Yu et Handong. Handong ne souhaite pas dévoiler son homosexualité à cause de l’éducation qu’il a reçue par la société, tandis que Lan Yu semble plus apte à l’accepter. L’homosexualité est pour Handong, quinquagénaire, un vice à cacher, que pour Lan Yu, vingtenaire, c’est juste «aimer».


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Paul-SAHAKIAN
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le 8 oct. 2024

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Paul SAHAKIAN

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