A mesure que les décennies passent et que le monstre Hollywood maintient sa mainmise en dépit des Cassandre/Spielberg, Last Action Hero gagne en ampleur dans sa place unique au sein de l’histoire de cet empire malade.
Bilan amusé et plutôt bienveillant de l’industrie à son sommet, le blockbuster joue la carte de la parodie sur un terrain si glissant qu’il finira par lui être fatal. Autoréférentiel, dans la mise en abyme permanente, le film digère tous les codes, non pas pour les dénoncer, mais pour en révéler la charge émotionnelle et mettre en relief les grosses coutures d’une écriture qui fait de la lourdeur son fonds de commerce. Comme dans Total Recall, (ce qui achève de faire de Schwarzenegger un personnage décidemment bien intéressant), les recettes du divertissement primaire sont explicitées et exploitées, conviant le spectateur à cette place aussi privilégiée qu’ambigue : témoin lucide de la recette éculée qu’on lui sert habituellement et en éprouvant toujours autant de plaisir.
Mc Tiernan est un entertainer hors pair, sans doute l’un des plus grands. De Predator à Die Hard, il a toujours su allier le sens de l’action à une exigence visuelle imparable, et ce n’est pas le regard retors sur les ficelles de son milieu qui va l’en dispenser ici. Poursuites mémorables, explosions à la minute, personnages comme autant de clichés, l’alchimie entre comédie et blockbuster est totale. Le recours aux écrans multiples, les références, le grossissement du trait, l’exploitation du second plan pour surenchérir font de cette machine un petit bijou qui gagne sur tous les plans : dans son efficacité purement cinématographique comme dans l’intelligence de son autocritique. (On remarquera d’ailleurs à plusieurs reprises, au détours de certaines répliques, que l’ennemi chez Mc Tiernan est avant tout l’homme politique : l’homme se prétendant du réel et à son service, et qui est en réalité le plus grand des menteurs…) Le soleil est fixe, les figurantes des canons, la bande son bien grasse, les répliques badass : régression totale, le film s’assume comme le cartoon qu’il cite sans arrêt, notamment dans la place récurrente du logo ACME, et les transgressions constantes de Danny, porte-parole à la fois cynique émerveillé du spectateur consentant.
Last Action Hero est assez inépuisable : relever le nombre de références au catalogue hollywoodien serait un travail de titan , disons simplement qu’il constitue la synthèse parfaite sur le sujet, et se délecte de ses mises en abyme avec une intelligence rare, allant jusqu’à faire du protagoniste du Septième Sceau de Bergman un témoin privilégié du final…
Pour prendre la mesure de la finesse du propos, une séquence mérite d’être distinguée : celle de la prise de pouvoir de Benedict. Alors qu’il prend conscience de la possibilité de voyager entre les univers, il s’adresse directement à la caméra, transgression narrative déjà assez intéressante. Mais si l’on regarde attentivement la scène (entre 1’48 et 1’52) on aperçoit dans le reflet des baies vitrée le cameraman. Erreur laissée volontairement ? Cela semble plus que probable, et ajoute une nouvelle couche à ce savoureux mille-feuille réel/fictionnel. Et Benedict de conclure : “If God was a vilain, he’d be me”
La deuxième partie du film, l’incursion dans le réel, reste un festival de piques au système, dans son versant mercantile : l’avant-première de Jack Slater IV est ainsi l’occasion pour Mc Tiernan d’évoquer le tournage démesuré et le service marketing en roue libre, la criminalité à New York ou la vie monoparentale.
Bide magnifique, chant du cygne, contre-champ cynique, Last Action Hero porte en son titre une prédiction impossible : celle de vouloir tourner une page face à un système qui n’est pas prêt à desserrer la mâchoire, et qui aujourd’hui recycle numériquement à tout va, sans même accorder une once de dérision amusée à ses pratiques mercantiles. Les temps sont tristes.