On fait pas Hamlet sans casser des œufs
Les festivités s’ouvrent sur une bonne grosse situation de merde comme on en raffole. Les voitures de police empilées les unes sur les autres, les éclats de lumières bleutées et rougies des gyrophares, la déception d’une nuit de Noël foutue en l’air, un hurlement, un cadavre qui tombe d’un toit, une prise d’otage. McTiernan s’introduit lui-même en peignant son tableau avec un pinceau qu’il manie à la perfection. Puis il introduit le type qui fait le titre du film. Le sifflement d'une sirène, le bruit de la taule écrasée, le “boum” régulier des pas, le visage ébouriffé qui entre dans le cadre avec un moignon de cigare au coin du bec, un accord de Kamen pour le saluer… McTiernan et Arnold se prennent une nouvelle fois par la main et le bulldozer est lancé.
Cette intro, celle-là même où Arnold démissionne, envoie bouler Tina Turner, démolit l’adjoint du gouverneur et casse des œufs le tout en à peine plus d’une minute, en plus d’être absolument parfaite, concentre à elle seule ce petit quelque chose qui s’est déplorablement perdu depuis, comme si ce “Last” Action Hero sonnait avec la dureté d’un présage avéré.
On parle souvent de Last Action Hero comme d’une parodie lorsqu’on veut rendre à ce chef d’oeuvre (j’écris c’que j’veux) ses lettres de noblesse. J’ai jamais trouvé ce mot tout à fait juste, lui préférant largement la simple idée de distanciation. McTiernan ne “parodie” pas vraiment, il oublie juste toute la sobriété efficace qui faisait l’apanage de son cinéma et se permet ici de créer LE film d’action de tous les excès sous le couvert confortable du film parfaitement conscient de son énormité sidérale. Le film qui ne connaît ni les limites d’un scénario tortueux ou d’un prétendant à l’Oscar du meilleur acteur. C’est juste un réalisateur en pleine rédaction d’une déclaration amoureuse au genre qui fait les sommets de sa carrière et un acteur qui prend un plaisir déchaîné à interpréter le héros le plus explosif de l’univers.
Parce qu’il faut savoir de qui on parle là. Quand j’étais môme, comme beaucoup d’autres mômes, j’aimais ce qui avait l’air le plus balèze. Le tigre est mieux que le lion parce que le tigre est le plus gros, donc le plus fort. Le tyrannosaure, c’est l’plus fort. Le grand requin blanc, c’est l’plus fort. L’ours kodiak, c’est l’plus fort. Arnold Schwarzenegger, c’est l’plus fort.
Le type est taillé de manière improbable et quand t’es gosse, c’est une sorte de super-type issu de comics et qui traverse une multitude d’univers, de la jungle mexicaine à la planète Mars en passant par les terres tortueuses de la Cimmérie.
Aujourd’hui, cette quête du plus gros plus balèze existe toujours, ça s’appelle Fast and Furious ou Pacific Rim et ça a plus ou moins oublié l’écriture des personnages, la mise en scène et l’art d’une caméra aiguisée.
Last Action Hero, c’est un cadeau, c’est la définition du film d’action des 90’s et la définition des films à l’enthousiasme contagieux. C’est le roi de la mitraille qui remet dans son objectif le massif autrichien alors aux cimes de sa gloire. C'est des caisses de dynamite et des mitrailleuses rotatives. C'est du cuir et du jean, des courses poursuites sur AC/DC. C'est des baraques qui explosent, des shotguns volcaniques, des mandales nucléaires. C’est des répliques putain, de celles qui mériteraient un ouvrage finement relié en leur honneur, celles qui t'expliquent parfaitement quoi dire à ton pire ennemi avant de lui coller une grosse baffe. C’est des scènes cultes bordel, du genre bien filmées (si, ça existait fut un temps). C'est l'oeuvre prodigue par excellence et ça se partage, vas-y Gozer, je t'en prie : "C'est même un conte de fée, en fait, bordel. Un conte de fée avec le T-1000 et une pyramide de Dobermann.", oui merci ! C'est exactement ça ! Avec un chat de dessin animé et un caméo de JCVD ! C’est une symphonie totale et amoureuse, la mélodie d’une époque déjà lointaine où le sens de la destruction massive rimait avec l’orchestration d’une répartie délicieuse. C’est absolument excellent, libéré de tout soucis de subtilité, se formant comme un film unique, qui ne devait être fait qu’une fois mais fait comme ça. C’est Arnold indestructible et Arnold touchant tout à la fois, celui qu’on aime (absolument tout l’monde). Il m’est totalement impossible d’écrire un truc parfaitement objectif sur ce film et j’en ai rien à carrer.
Mais faut pas faire erreur, ce n’est pas “juste” une parodie (ce qui est pourtant déjà une bien meilleure interprétation que lors de sa sortie), c’est un aveu passionné, une mise en abyme démultipliée, euphorique, comme l’un des derniers souffles d’une décennie sans entraves, un témoignage touchant, comme le souligne Wobot, vas-y mon gars : "Je me rappellerai toujours de cette scène où Arnold découvre, dans la cabine de projo du cinéma, qu'il est juste un personnage de fiction, qu'il n'existe pas. C'était vraiment beau ce passage..." (carrément), l’un des derniers éclairs d’un orage tempétueux, l’ultime tsunami libéré sur des roches déchiquetées. Quand le plus grand réalisateur du cinéma d'action fait sa déclaration d'amour au genre qu'il affectionne tant, ça donne ce film. Culte, de la première à la dernière réplique.