On a beau regretter le temps où la virtuosité d’Edgar Wright était au service de la comédie, on ne pourra pas lui faire le reproche de la redite. Après s’être essayé au polar sur-vitaminé Baby Driver, le voilà qui investit les contrées du film d’horreur.
Les ressorts du scénario sont en tout cas tous inféodés aux plaisirs formels du réalisateurs : passionnée par la mode, sa protagoniste voue un culte aux années 60, nous servant sur un plateau des reconstitutions de haut vol, chorégraphies et costumes en pagaille, le tout sous les ors d’une bande son du swinging London. Armé d’aussi fiers atours, Wright se sent pousser des ailes, qu’il déploie de manière plutôt convaincante après une exposition un brin laborieuse : les premières nuits de rêve d’Eloise travaillent la carte de la fascination, entre glamour et ferveur, chant, chorégraphies et atours rutilant d’une période totalement fantasmée. La très belle séquence de danse où les deux figures féminines se succèdent au bras du bellâtre confirme que le cinéaste n’a rien perdu de sa maîtrise, et son jeu sur les miroirs, pour pesant qu’il soit, installe une atmosphère qui peut promettre une certaine fascination. On en serait presque prêt à ne pas relever les ingrédients sempiternels et les paresses d’écriture (la jeune bouseuse maltraitée par la snob hautaine, la conversation humiliante entendue dans les toilettes, la voiture qui pile dans la rue face à l’écervelée), avant de constater que tous ces ingrédients nous seront resservis à l’envi.
Une fois le dispositif mis en place, les vagues promesses d’une errance onirique sur le thème du double (Vertigo, Mulholland Drive), du portrait d’un individu en proie à des obsessions à la Polanski (Répulsion, Le Locataire) s’étiolent très rapidement. Wright emprunte au giallo son goût des couleurs, avec néons omniprésents et filtres flashy, et transforme mécaniquement le rêve en cauchemar, Eloise le ponctuant de l’éculé réveil brutal avec abdo intégral + yeux écarquillés + inspiration glacée d’effroi. Rien ne nous sera épargné des recettes les plus rances du genre : faux réveil, hallucinations, main sur l’épaule une fois gentille, la fois suivante méchante, un verre suspect deux fois, répétition des voix off avec écho, et des miroirs partout, tout le temps. Lorsque Wright met son cadre en mouvement au service de la musique ou de la présentation d’un décor, tout fait sens, et le plaisir opère. Le problème, c’est qu’il emploie les mêmes ressorts pour construire sa narration, qui ploie sous les insistances, zoome sur les évidences et souligne le tout par une musique d’une solennité insupportable.
L’intrigue laisse un temps flotter l’air du temps, consistant à la relecture d’une période idéalisée par le prisme décapant de l’ère #metoo, le Londres du divertissement se transformant en un enfer de l’exploitation sexuelle. Mais à la lourdeur (un plan séquence qui nous résume la totale prostitution/drogue/perte des illusions/overdose) succède un twist assez douteux dans la manière dont on relativise le message, et qui sacrifie en tout cas tout propos sur l’autel de la mascarade.
Les mauvaises langues y verront probablement un signe : les deux actrices se sont toutes les deux illustrées chez Shyamalan (l’une pour l’étron Old, l’autre avec les ratages Split et Glass) avant de travailler pour Wright, et force est de constater que les lourdeurs du tâcheron semblent avoir contaminé le plateau du second. Emporté par ses vertiges, le récit s’enlise et s’enlaidit considérablement, jusqu’à une apogée ou l’horreur n’est plus dans le ton, mais à l’écran, pour la montée d’escalier la plus hideuse de l’histoire, avant un épilogue qui ne semble visiblement pas ironique. Mépris du spectateur ou étroitesse de perception ? Peu importe : Wright, en convoquant les visionnaires, ne se révèle qu’un laborieux visionneur.