C'est l'un des fleurons du film noir, un film exceptionnel dont le pouvoir de fascination est évident dès les premières images. Ce qui n'était à l'origine qu'un film de série B pour la Fox est devenu un superbe classique grâce à une combinaison d'éléments.
En effet, l'addition de l'admirable photo en noir & blanc de Joseph La Shelle qui joue sur les ombres et la lumière, la musique de David Raskin, l'intrigue bien écrite qui recèle une sacrée surprise, la manière dont Otto Preminger oppose la rudesse de Dana Andrews à l'élégance cynique de Clifton Webb, l'utilisation des flash-backs qui permet de rendre Laura vivante, et la passion grandissante que l'inspecteur porte à cette femme troublante à travers son tableau... tout ceci a forgé une oeuvre élégante, une sulfureuse tragédie noire qui met le doigt sur nos pulsions criminelles les plus secrètes.
Et puis il y a Gene Tierney qui tient le rôle-titre inoubliable et dont l'éclatante beauté marqua l'adolescent que j'étais. Comme dans beaucoup de films noirs, Laura est en même temps qu'une intrigue psycho-criminelle, le portrait d'une femme exceptionnelle ; comme le fera plus tard Ava Gardner dans Pandora ou la Comtesse aux pieds nus, Gene tient ici un rôle mythique de femme envoûtante qui perd les hommes, non par sa rouerie mais par le mystère qu'elle cache sous sa blanche carnation. Par une astuce de scénario, elle n'apparaît qu'après une vingtaine de minutes de projection, et la caméra comme envoûtée, est littéralement happée par son magnétisme. Elle est d'une beauté si attirante que les hommes perdent toute mesure.
L'aspect purement policier de l'intrigue s'estompe souvent derrière la description psychologique des personnages, notamment sur la brutalité du policier qui se transforme en sensibilité, et sur l'élégance décadente du chroniqueur mondain impitoyable et mordant. Les caractères baignent dans une atmosphère prenante, et à l'image de cet inspecteur subjugué, le spectateur se sent aussi peu à peu envoûté par cette Laura qui n'apparaît au début que par les témoignages de ceux qui l'ont connue.
Commencé par Rouben Mamoulian, repris par Preminger qui en était le producteur, ce film est sans aucun doute la réussite majeure de ce dernier, et rien ne semble pouvoir l'altérer.