Film noir par excellence, Laura intrigue au premier abord sur un point : presque la totalité de l'action se déroule en intérieur. Ce choix s'explique pour deux raisons. La première est liée à la très forte tension psychologique omniprésente qui est renforcée par la surcharge d'objets divers présents dans chaque plan. La seconde tient davantage à l'enquête elle-même. La sensation de huis clos laisse planer le doute quant à la véracité du meurtre auquel tourne le récit.
L'instabilité psychologique est frappante. Les troubles des personnages se devinent à travers leurs caractères physiques. Dana Andrews tient le rôle d'un enquêteur rude et froid mais obsédé par le portrait de la jeune femme. Clifton Webb joue un journaliste mégalomane et manipulateur en quête de reconquête de sa créature. Les épaules carrées de Vincent Price apportent la touche de virilité brutale d'une sorte de gigolo désargenté. De plastique il est d'ailleurs également question ici tant Gene Tierney perce l'écran à chacune de ses interventions. Pour autant, le spectateur est peut-être le seul à l'apprécier pour ce qu'elle est vraiment, soit une femme indépendante et moderne qui dérange une société patriarcale en perte de contrôle. Les trois hommes esclaves de leurs pulsions ne semblent pas véritablement aimer cette femme pour elle-même mais davantage en tant que reflet de ce que la perfection féminine serait pour eux.
Autre point fort de l'œuvre d'Otto Preminger : la bande originale. Composée par David Raksin, cette musique lancinante et sensuelle est parfaitement adaptée au développement psychologique de l'intrigue. Preuve que celle-ci a fortement marqué la société américaine, Frank Sinatra et Ella Fitzgerald reprendront par la suite ce thème légendaire.
La perfection aussi bien technique que scénaristique ne peut qu'être saluée mais à l'image de l'impuissance des protagonistes, le spectateur ne fait qu'admirer une beauté froide et des conflits intérieurs qui peuvent laisser de marbre. L'absence de charme, de chaleur voire d'humanité peut laisser le sentiment étrange d'apprécier une écriture parfaitement maîtrisée tout en y étant pourtant complètement insensible. Demeure tout de même à l'issue de cette enquête psychologique une fascination réelle.