Dolan a réussi à se tuer idéalement pour renaître

Ce qui était probablement l'une des phrases les plus importantes de son premier long métrage J'ai tué ma mère prend tout son sens dans Laurence Anyways.


Ce qui était idéal, pourtant, devient lourd, pesant, terrifiant. Xavier Dolan est habile, très habile pour nous faire ressentir toutes les émotions dont les personnages sont submergés. Et ce qui prédomine, comme souvent, c'est l'amour. Le difficile amour, amour de soi. La difficulté que l'on peut avoir de s'assumer. Sa maquiller dans un petit miroir pour sa 1ère journée de femme, est-ce réellement la traduction d'une femme qui se connaît ou plutôt la difficulté de se voir, entièrement ?


L'amour passionnel, l'amour d'une mère, l'amour étouffé, l'amour contrarié, l'amour haineux, l'amour de soi.


Si l'on y retrouve les codes de J'ai tué ma mère ou encore des Amours imaginaires, qu'il s'agisse de la similarité dialectique ou sonore (mon loup, Céline Dion, etc.), autant de clins d’œil à ses films passés, Laurence Anyways se démarque par sa fulgurance. Il y a toujours une scène, un moment, un instant suspendu dans ses longs métrages qui frappent le corps et l'esprit. Dans J'ai tué ma mère, on retiendra la séparation de la mère et de son fils sur le parking. Dans Mommy, la scène d'ouverture ou la scène de danse sur du Céline Dion.


Laurence Anyways n'a pas de scènes de fulgurance. La fulgurance est Laurence Anyways. Ce film est une lueur. Tout brille, tout ébloui. Les dialogues :



Tu peux monter la télévision quand même
Tu te transformes en femme ou tu te transformes en con
Je ne veux pas me perdre pour que tu puisses te trouver
La femme AZ (la première et la dernière)



Et surtout la mise en scène. Cette transition douloureuse mais colorée, pour une femme enfin capable de vivre sa vie de femme dans une scène où du ciel bleu retrouvé se déversent des centaines de vêtements.
De la difficulté de vivre dans une société où la tolérance ne fait que rarement place au respect. Dans une scène symbolique où Fred explose en morceau dans un restaurant. Fragile, déracinée, perdue. Sentiment qui sera parachevé par cette phrase déjà citée mais au combien révélatrice :



Je ne veux pas me perdre pour que tu puisses te trouver



Alors que Fred s'était déjà perdue, depuis quelques années déjà. Elle passera d'ailleurs toute une partie du film dans un halo de lumière faible et bleuté. Image de cette dépression qui la ronge après avoir perdu un bout d'elle-même.


Ce film est une fulgurance. Ce film suspend le temps pendant presque 3 heures avec sa grâce, sa tendresse, son esthétique, sa puissance, son message. On veut lâcher-prise et oui, que la norme et la marge se confondent enfin. En 2020, les lignes sont plus fines, mais parfois aussi plus violentes. Alors, en attendant, continuons de nous aimer.



Dans tes bras, mon tendre ami, nous ferons durer la vie. Et nos rires et nos pleurs, le bonheur comme la peine, fait pleurer les amoureux. Le bonheur comme la peine mais vaut mieux pleurer à deux (Jeanne Moreau, et cette nouvelle fulgurance)


Julien_Ripert
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le 14 avr. 2020

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Julien Ripert

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