[En musique.]
Même Don Draper de Mad Men a dit que ça fumait trop dans ce film, c'est dire. En intro, j'avais aussi envie d'ajouter que c'est quand même terriblement mieux quand Xavier Dolan ne joue pas dans ses propres films. Il dirige merveilleusement bien les gens, mais n'a pas tellement de mesure avec lui-même et c'est bien normal. C'est un acteur potable, mais il n'aura jamais la même rigueur et le même recul qu'il a envers les acteurs qu'il dirige.
Laurence Anyways est un film bouleversant, enrichissant et intelligent. Intelligent pour une seule bonne raison, et c'est souvent la marque de grands films : il se concentre autant voire plus sur le personnage de "l'ombre", le personnage sous-entendu secondaire, à savoir celui de Suzanne Clément. Et ça, c'est brillant. C'est stimulant et somptueux. Ca, c'est le reflet d'un réalisateur qui a tout compris. J'avais aussi cette même impression dans Une merveilleuse histoire du temps où Felicity Jones était finalement le personnage le plus intéressant, avec cette force de caractère dantesque. Ici, c'est la même chose. Mettre en relief ceux qui ne font pas de bruit, leur donner une profondeur insoupçonnée. Et on remarque, par ailleurs, à quel point Danish Girl s'est vautré parce que, justement, le personnage secondaire était trop effacé et assez naïf. Suzanne Clément est, dans Laurence Anyways, la personnification de la vie et touche le spectateur en plein cœur.
Une vérité qui m'a sautée aux yeux. Son personnage accepte, puis n'accepte pas, puis accepte, puis n'accepte plus, et ainsi de suite jusqu'à la toute fin. Elle pourrait mourir pour lui. Elle pourrait le quitter sur le champ. Le cœur et la raison. L'amour, aussi, ses mécanismes, son essence insaisissable. Il est le symbole même de la vie, où nos valeurs, nos doutes, notre volonté sont dirigées en grande partie par... le présent. L'émotion du moment, le souffle de notre cœur. Laurence Anyways capte merveilleusement bien cela. Suzanne Clément est une immense actrice. Ici au bord de la folie, dans Mommy au bord du mutisme. C'est une performance qui fait date dans le cinéma des années 2010, et n'ayons pas peur des superlatifs. C'est totalement incroyable.
Le duo est de toute manière parfaitement joué. Il y a un travail sur les mouvements de caméra et surtout le cadre qui est remarquable et qui, j'ai l'impression, tend à être perfectionné avec le temps. On remarque, dans ce film encore, cette patte pleine de tendresse pour la musique (et le son en général), les regards et, bien sûr, l'amour des femmes. L'amour de l'amour, aussi, celui qui survit au temps, aux autres, à nous-même. Un film sur la tolérance, oui, sur la transsexualité, oui, mais sur quelque chose que nous vivons tous surtout : des gens, tous plus différents les uns que les autres, qui passent dans notre vie, en la changeant parfois, en nous changeant, et qui sont probablement amenés à disparaître. Dans quelques mois, quelques années. On aime les reflets, les ombres. Que reste-t-il quand nos yeux ne nous montrent plus la vérité que l'on chérissait ?
Because soon enough, we will die.