Considéré comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma, classé parmi les leaders du Top 100 American Institute, Lawrence d’Arabie retrace le périple de Thomas Edward Lawrence, officier britannique devenu un leader de la Grande révolte arabe de 1916, soutenue par la couronne pour des intérêts stratégiques mais touchant ses limites avec les revendications des nationalistes arabes. Ce film-fleuve âgé de plus d’un demi-siècle (1962), couronné de sept Oscars, s’attache à une retranscription fidèle, sans chercher à sonder l’Histoire, à la faveur d’un portrait pénétrant de son héros. Le personnage est dévoilé dans toute sa complexité et dans ses aspirations parfois étranges ou contradictoires.


Poursuivant son guide intérieur, avec pour credo la passion et l’aspiration au dépassement, Peter O’Toole alias Lawrence d’Arabie irradie tous les plans de son magnétisme et son charme un brin pervers et effarouché. Pour cet aventurier absolutiste défiant les faits et les blessures, la vie est, au moins pour lui, un combat perdu d’avance, toutefois il met un point d’honneur à exulter sur le plus arrogant des champs des batailles. Il se focalise sur ses émotions limites, cherche partout la stimulation : ce n’est pas tant une biographie que le spectacle féroce d’un mélancolique flamboyant parmi les plus déterminés et extatiques que les arts aient portés et les Hommes connus. Sa témérité aberrante, sa compulsion à s’élancer toujours sans aucune préméditation, sans filet ni calcul, juste avec la foi et la volonté masque, tout en le sublimant (et lui trouvant des vertus au regard des autres), un flirt permanent avec le vide et la mort afin d’éprouver les joies secrètes de l’impuissance et de la soumission.


Tout est paradoxe : il est l’émissaire de la liberté et supplie d’être enchaîné, il se proclame au-delà du commun des mortels et s’affiche demi-dieu puis finalement voudrait se perdre dans la banalité lénifiante. La décompensation l’emporte finalement sur le masochisme vaniteux ; ainsi il cède à la tentation du renoncement. Car nous assistons également à une quête identitaire, où Lawrence enfile les masques, cherchant le costume qui compensera la conscience qu’il n’a de tribu nulle porte. Récit d’un échec aussi, puisque l’identité non-polarisée l’amène à se désirer ordinaire, à choisir de se contenter de sa « ration d’humanité » quelconque. Avec cruauté et sans ambiguïté, le caractère extraordinaire de sa destinée l’amène à la déception car elle révèle plus qu’une autre expédition avortée ses manques et frustrations, sa nature vouée à l’insatisfaction et l’éternel repli et échec. Toutefois s’il connaît l’évanouissement consenti par tous les romantiques, c’est après avoir conquis le réel par sa folie extériorisée et son inspiration.


Au-delà de son caractère épique, cette œuvre titanesque se vit comme la traduction d’un rêve : conjuguant insurrection concrète et aspirations éthérées, exploits sociaux et sublimations d’un esprit torturé, Lawrence d’Arabie est une aventure individualiste, où l’ivresse d’un homme se répand et s’aliène des enjeux le dépassant. Cette chimère matérialisée a aussi son envers, car on ne dompte pas les cymes impunément ; pourtant l’autorité n’est pas la plus grande barrière, pas plus que ne l’est la dangerosité d’un désert suave et hostile ; le véritable heurt, c’est lorsque les fantasmes doivent s’incliner devant des limites sournoises générées par la réalité et que même l’héroïsme ne peut venir à bout de sa condition d’homme cassé et évanescent.


https://zogarok.wordpress.com/2015/05/29/lawrence-darabie/

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le 30 mai 2015

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