La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

En 1984, après une certaine reconnaissance critique, un beau succès public et après avoir récolté moults prix - dont, entre autres, l'Ours d'argent du meilleur réalisateur à Berlin, trois Césars (dont meilleur film ex-aequo avec A nos amours) et une nomination aux Oscars, Le Bal semble accéder d'emblée à un statut de classique instantané du cinéma français, bien que réalisé par un auteur italien alors très populaire et reconnu dans le monde.
D'autant qu'il est adapté d'un spectacle qui a lui aussi remporté un franc succès chez nous, à une époque ou le théâtre se voit trouver une nouvelle jeunesse et une popularité restaurée auprès de jeunes troupes comme celles de Jérôme Savary, Jean-Michel Ribes, Jérôme Deschamps ou du Théâtre du Campagnol qui nous intéresse ici.


Aujourd'hui que reste-t'il de la forte impression qu'avait fait en son temps cet étrange long-métrage, expérience unique au croisement de la comédie musicale, du théâtre filmé, du film historique, de la chronique de mœurs, du film à sketches et de la férocité (light, dans le cas présent) des comédies italiennes ?


A vrai dire, une impression fort mitigée que le film aurait pu, de par son potentiel sympathie, sa vraie singularité, ses partis pris et sa réelle ambition, emporter une adhésion un peu exagérée à l'époque pour son inscription parfaite dans la tendance de son temps et qu'il apparaisse aujourd'hui nettement moins puissant et maîtrisé avec plus de trente ans de bouteille et un bon paquet de rides.


L'impression d'une sorte de malentendu, en quelque sorte...


Car à le revoir, malgré d'indéniables qualités (Scola n'est tout de même pas un tâcheron), Le Bal semble avoir pris un méchant coup de vieux, contrairement à d'autres chefs d’œuvres de ce cinéaste (Affreux, sales et méchants, notamment...) et surtout, il apparaît aujourd'hui aussi figé dans ses ambitions qu'amidonné et approximatif dans sa forme...


Le film commence pourtant bien en assumant clairement sa théâtralité lors de la longue et belle séance d'ouverture, sur fond de musique disco, quand chaque personnage s'avance face au miroir et que ce joyeux défilé s'annonce dans une posture clownesque, quelque part entre le cinéma d'Etaix et celui de Tati, l'acidité toute italienne grippant salutairement les rouages...
Mais dès la fin de cette séquence, sans réelle transition que celle du système de la photographie figeant la scène (et qui sera repris très systématiquement tout au long du film pour clore chaque séquence, avortant toute forme d’ellipse), on se trouve projeté en flashback, 50 ans en arrière, en 1936, dans une couleur lavasse pseudo-noir&blanc, tirant sur le chromo sépia, sensée illustrer l'époque et usant d'un comédien sosie de Gabin pour nous amener à la fois dans ces années sociales du Front populaire, cinéphiles du Réalisme poétique et dans l'atmosphère des bals musettes. Ambiance La Belle équipe...


Et c'est là que le bat commence à blesser car de ce lessivage de la couleur d'où ne surnage que quelques accessoires (plumes, foulard, etc.) qui de rouge vif sont passés à la lie de vin ou au vieux rose, se dégage une certaine fadeur, pour ne pas dire laideur qui est loin de rendre hommage au cinéma de ces années là, à ses noirs de suie, ni à la photographie ou aux décors de l'époque, alors plus contrastés et sublimes.
Premier écueil esthétique auquel se heurte le film qui ne sera - hélas - pas le dernier ni le moindre car Scola, par fidélité, sans doute, au matériau théâtral de départ et à la troupe du Théâtre du Campagnol, fait le choix discutable de n'utiliser que cette douzaine d'acteurs, faisant fi du fait que les conventions théâtrales ne sauraient être les mêmes que celle qu'un spectateur peut attendre du cinéma : une actrice quinquagénaire peut – en effet - très bien, au théâtre, endosser le rôle d'une gamine de 18 ans, pourvu qu'elle soit talentueuse et bien grimée... Au cinéma, il devient difficile d'accepter ce genre de conventions pour des raisons, évidentes, de simple vraisemblance...
Le talent des acteurs et actrices n'est cependant pas clairement à mettre en cause mais il devient, au fil que les récits se déroulent, de plus en plus difficile d'avaler certains partis pris de casting.
Jean-François Perrier, par exemple, est sans doute celui qui, tout au long du métrage s'en sort le mieux avec le plus de constance mais on peine à croire à son incarnation d'un officier nazi, même le cheveu aussi outrageusement décoloré. Les exemples du genre étant légions.
N'aurait il pas mieux valu intégrer ces acteurs dans des rôles correspondant à leur âge et à leur physique et engager d'autres acteurs, hors de la Compagnie, plutôt que de régulièrement renvoyer le film à ces conventions scéniques et donc aux limites évidentes du « théâtre filmé » ?
Il me semble que Scola ait fait ici le mauvais choix tant la question se pose parfois cruellement...


Mais là n'est pas, avec le recul, la seule faiblesse du film... En effet, si Scola semble clairement ici sous l'influence très prégnante de Fellini, celui d'Amarcord ou de Et vogue le navire (réalisé la même année dans les mêmes studios de Cinecittà) il peine – contrairement à son ami et néanmoins maître - à montrer un regard juste sur l'Histoire et sur les mœurs de chaque époque.
Un cinéaste qui s'était pourtant souvent montré si doué à dépeindre celles de son propre pays (l'exemple parfait étant Une journée particulière, décrivant de manière tout aussi théâtrale mais infiniment plus subtile l'atmosphère de l'Italie fasciste...) semble souvent ici ne pas parvenir à transcrire de manière convaincante les époques que ses personnages traversent - en France. L'ensemble manquant souvent d'inspiration esthétique, d'une salutaire justesse de point de vue, de subtilité et même parfois de vraisemblance...
Quelques scènes sont certes plus réussies que d'autres, tant dans l'émotion (les deux femmes pleurant leurs amoureux partis au front) que dans la satire (le collabo tentant en vain d'entrer dans la ronde de la libération) mais on s'ennuie tout de même beaucoup à contempler cette jolie machine un peu systématique qui tourne clairement à vide, brassant les clichés plus que les vraies idées de cinéma.
Sentiment renforcé par la faiblesse de la mise en scène, assez basique, peinant tristement à filmer la danse, très sous exploitée à l'exception du prologue et de l'épilogue disco autant que les évolutions d'une société traversée par des guerres (l'occupation nazie, l'Algérie...), des modes et des révolutions (sexuelle, sociale...) allant souvent de plein pied dans la caricature ou un certain simplisme en tentant de traiter de sujets forts mais n'évitant ni les facilités, ni les redondances, ni même parfois les contresens...
Voir comment l'émotion de ces deux femmes est un peu alourdie et paraphrasée par l'usage redondant de la chanson de Rina Ketty, « J'attendrai »...


L'utilisation de Lily Marleen, chantée par Lale Andersen pour illustrer la période de la soumission forcée de la France à l'occupation allemande durant la seconde guerre mondiale est plus ambigüe, subtile et réussie: La chanson – qui fit d'ailleurs un flop en 1939 dans sa version originale - était détestée notoirement par les nazis, qui n'y voyaient que sentimentalisme et faiblesse et notamment Goebbels,qui tenta même longtemps de la faire interdire...
Elle avait cependant fini par acquérir une vraie notoriété auprès des jeunes soldats allemands engagés dans la fatalité de cette guerre et qui se languissaient plus de rentrer chez eux, retrouver leurs belles, qu'ils ne se souciaient des velléités de conquête d'Hitler...
Qui plus est, la grande Marlene Dietrich qui avait – comme chacun le sait – renoncé dès les premiers temps de la guerre à sa citoyenneté allemande et s'était engagée fièrement et activement aux cotés des américains et des anglais, sur le front, avait repris Lily Marleen - qu'elle considérait comme le symbole de sa résistance aux nazis – en anglais et elle offrit à cette chanson méconnue un immense succès mondial dès 1944...


Voir l'expression étrange, assez difficile à identifier, de Jean-François Perrier, en officier SS, entre émotion et agacement, peut-être simplement flatté par le choix radiophonique idiot de l'immonde collabo est assez réjouissant et amène à une lecture plus ouverte, moins binaire.
Mais assez rares sur la longueur du métrage...


Ces nombreuses maladresses scénaristiques et stylistiques me laissent à penser que Scola aurait sans doute gagné à envisager une adaptation de cette pièce en la transposant dans un pays dont il maîtrise davantage les mœurs, la culture et l'Histoire : l'Italie...


La meilleure preuve étant lors de la séquence consacrée aux années 50, avec ses tonitruants tubes cha-cha et son ambiance latina, dans laquelle on retrouve - le temps d'une chanson de Dario Moreno - tout le charme des comédies italiennes des années 50/60 auxquelles Scola avait collaboré activement et dont il reste un des plus vaillants cinéastes...
On pense notamment au génial Le Fanfaron notamment, dont il était d'ailleurs scénariste...
Durant cette séquence, l'idée de glisser au cœur de cette danse enjouée et légère des références à la guerre d'Algérie, à l'immigration arabe et au racisme qu'elle suscite devient alors une évidence et fonctionne parfaitement.
Non pas que le propos soit beaucoup moins simpliste, loin de là, mais cette fois encore, le film trouve une adéquation presque miraculeuse entre sa bande originale (capitale tout au long du film, forcément...), sa forme chorégraphiée et son propos historique et sociologique...


Fait hélas pas si courant dans ce film, que je considère désormais comme l'un des plus surestimés de son auteur, filmé assez platement, peinant à trouver la juste distance de vue, prenant peu en compte les chorégraphies dans sa mise en scène - à l'exception de quelques scènes – le cadre et la lumière assez peu soignés, les costumes sentant un peu la naphtaline, assez maladroitement illustré musicalement, malgré la belle homogénéité qu'apportent les arrangements de Vladimir Cosma, bancal au niveau de son casting et au final ressemblant plus à un spectacle filmé, assez simpliste, superficiel, ennuyeux et parfois même assez laid...


Il est parfois des beaux souvenirs de cinéma qu'il vaut mieux éviter de revoir, pour ne pas constater tristement combien ils se sont ternis avec le passage du temps et comme leur vernis s'est fissuré, laissant apparaître bien trop d'imperfections et d'approximations...

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le 10 févr. 2016

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Foxart

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