En 1978, l’impact du « Halloween » de John Carpenter sur la production horrifique mainstream est incroyable. Ce genre relativement peu répandu connaît un boom, et inonde le cinéma des années 1980. Dans les années 60/70, seules quelques studios indépendants proposent des œuvres, souvent cheap et peu diffusées, au-delà du cercle de connoisseurs. L’Horreur venait alors principalement d’Angleterre, avec notamment les films de la Hammer.


Le sous-genre horrifique le plus populaire des eighties est alors le Slasher. Son principe se veut simple : un tueur, masqué dans la plupart des cas, prend en chasse des adolescents, même si le curseur reste variable, allant des mineurs aux jeunes adultes. Ces derniers, généralement plus intéressés par le sexe, l’alcool et la drogue, que faire une carrière et fonder une famille, connaissent de funestes destins, ce qui donnera naissance au fameux « death by sex ».


Il y a dans la représentation des jeunes adultes de cette époque, une volonté de montrer l’héritage libertaire des années 1970. Mais surtout, elle sert à dresser un constat d’échec du Flower Power, par l’émergence d’une particularité toute nord-américaine : le serial killer. Dès les massacres perpétrés par les moutons de Charles Manson, le continent est livré à ce phénomène de société des plus morbides, très médiatisé durant les années 1970 et 1980. Le meurtrier en série devient une réalité, et engendre de fait une paranoïa.


L’un des plus célèbres de la période, Ted Bundy, est arrêté en 1978. Socialement intégré, militant républicain, marié et bien sous tous rapport. Il tuait principalement des jeunes femmes. Ironiquement, sa première arrestation coïncide avec l’année de naissance du Slasher comme genre codifié, où le croque-mitaine est désormais devenu le voisin. Ce n’est plus le vampire, le zombie ou le loup-garou, c’est une personne lambda, parfois charmante, souvent n’importe qui, et généralement connu de la communauté.


« Prom Night » commence ainsi dans un lieu familier et symbole d’une institution vacillante : une école désaffectée. Des enfants d’une dizaine d’années font une partie de cache-cache, et en voulant effrayer une petite qui s’est égarée dans le bâtiment, ils l’acculent à une fenêtre, la font tomber et… elle meurt très violemment. Ils se promettent (enfin, surtout une) de ne jamais révéler ça à quiconque. Six ans se passent, les enfants sont des ados en fin de lycée, et ils se préparent comme si de rien n’était pour leur rite initiatique : le bal de promo, échelon primordial vers une vie adulte bien rangée.


Faux Teen Movie, mais vrai Slasher, si « Prom Night » n’est pas le meilleur du genre, il n’en demeure pas moins une expérience fun. Il traite en plus de nombreux sujets audacieux, et pas forcément évidents, surtout en 1980, puisqu’aujourd’hui les mentalités se sont tout de même un peu plus ouvertes. Ainsi se met rapidement en place l’histoire d’une vengeance, avec un tueur se faisant la main vengeresse d’une société incapable de protéger une petite fille.


Proposant un contenu plus adulte, en plus du deuil de l’enfant, traduit par des parents démissionnaires, le film aborde brutalement le harcèlement et le traumatisme. Certes, ce n’est qu’un prétexte pour tuer du monde et divertir l’audience, mais force est de reconnaître que le film de Paul Lynch a le mérite de poser des questions. Il évoque également la sexualité féminine, le consentement et le viol, ainsi que l’attitude bien trop souvent animale du mâle en mal de domination, effrayé à l’idée de perdre les prérogatives de sa virilité. « Prom Night » se présente comme un Slasher mature, qui ne prend pas ses ados de spectateur, clairement ciblés, pour des neuneus.


Se positionnant ainsi sur plusieurs axes, qui correspondent plus ou moins à la personnalité des différents protagonistes, le film permet de bien développer ces derniers. Ils répondent tous à des conventions très claires, mais bénéficient de quelques libertés d’interprétations. Pour exemple, Slick aurait été, dans n’importe quel Teen Movie, le gros stoner balourd de service, or, ici il est développe et vie même une relation sincère et bien amenée, avec l’une des protagonistes.


Le métrage est aujourd’hui un bon moyen de s’offrir une petite lucarne sur la société occidentale du début des années 1980. Ce qui fait aussi qu’il peut apparaître un peu vieillit, surtout à cause d’une esthétique Disco omniprésente, mais c’est en même temps ce qui lui confère ce petit charme désuet… Et voir Jamie Lee Curtis se déhancher sur la piste de danse, ça change un peu de son rôle habituel de victime.


« Prom Night » fait ainsi office de semi-précurseur, se permettant quelques entorses bienvenues aux conventions. Il tord le cou à pas mal de clichés convenus, et si formellement il apparaît peu original, en creusant un peu, il se révèle une œuvre plus profonde. Et puis, il réunit également toutes les caractéristiques du Slasher, qui en font un modèle du genre : les adultes déconnectés, les forces de l’ordre incompétentes, une jeunesse livrée à elle-même face à la défaillance des institutions censées les protéger, et bien entendu le tueur masqué, déshumanisé, qui taille dans le vif du sujet.


Au final, il en demeure un chouette film, bien rythmé, généreux, et en plus y’a Leslie Nielsen… et rien que pour ça c’est marrant de le voir. Les morts sont funs, ça va parfois trop loin, ça se termine dans une explosion d’horreur brute, remplissant à la lettre donc tout ce qui est demandé et attendu de la part d’un Slasher. Il se révèle dès lors comme un incontournable du genre et comme toute bonne production qui se respecte, il a en plus plein de choses intéressantes à dire.


Spoil : dans les 10 ans qui suivent, le film connaîtra trois suites. Et un remake en 2006.


-Stork._

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le 17 oct. 2022

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