Et voilà, 200è critique. Pour fêter ça, à l'instar des 150è, 100è et 50è, j'ai décidé de consacrer un peu de mon temps à l'un des mes graals cinématographiques. Assez naturellement, Das Boot est l'un des premiers films que j'ai placé dans mon top 10 lorsque je découvrais senscritique. Je fus d'ailleurs heureusement surpris de constater que le chef d'œuvre de Petersen était non seulement bien noté mais surtout bénéficiait de magnifiques critiques. Ainsi, si le cœur vous en dit, je vous conseille vivement de profiter, entres autres, de celle de SanFelice :
http://www.senscritique.com/film/Le_Bateau/critique/18288046
Loin de moi l'idée d'analyser en profondeur cette œuvre. Mon top 10 renvoie à ma part d'irrationnel, à des sentiments très profonds, à des moments personnels. Lorsque je mets 10, la note n'a plus de sens. L'œuvre s'impose à moi, tout simplement, sans que je puisse réellement garder les pieds sur terre pour l'appréhender de manière rationnelle.
J'en connais pour qui Das Boot fut un long calvaire ; un moment chiant, interminable, pénible, un chemin de croix sous marin. Et bien moi, le revoir une nouvelle fois, dans sa version Bluray, fut une nouvelle occasion de sortir bouleversé d'une histoire que je connais pourtant par cœur.
Das Boot est le premier film de guerre à m'avoir chamboulé. Rien que ça. Et encore, je l'ai découvert non pas en film, mais dans le format de la série tv. J'avais 13-14 ans, j'étais au collège et j'aimais bien les films de guerre. J'étais fan de Conan, d'Indy, d'Excalibur et de Ray Harryhausen mais, franchement, j'aimais les films de guerre. Le summum du genre c'était alors pour moi le Jour le plus long, la Bataille des Ardennes, Les 55 jours de Pékin, Les Canons de Navarone, Tora, Tora, Tora, la Bataille de Midway. Des films plein de fureur sympa, avec les gentils alliés ou occidentaux, pas de sang mais des héros qui se crispaient pendant 1 minute lorsqu'ils étaient touchés. Des histoires simples à la John Wayne, lisibles, avec des allemands et des japonais utilisés comme chair à canon pour les beaux yeux de nos héros. Même dans Torpilles sous l'Atlantique, le méchant Allemand finissait par se rendre compte que les Américains étaient vachement sympas.
Et puis vint TF1 et son idée saugrenue de me jeter à la figure une histoire de méchants. En lieu et place de mes chers alliés, des Allemands. Des salauds de boches. Regardez-les profiter de La Rochelle avant de partir couler les bateaux alliés. Bande d'enfoirés, vous ne perdez rien pour attendre.
Après une longue introduction à base de beuverie, au cours de laquelle l'équipage nous est présenté avec soin, enfin, le bateau part. Inutile de le nier, je ne peux les détester ; je ne sais si ce fut à l'époque la mélodie lancinante et mélancolique de Klaus Doldinger, ce "Vieux" incarné par Jürgen Prochnow, ce journaliste, le lieutenant Werner ou tout simplement l'ensemble de cet équipage, mais je vais trembler avec eux. Je vais rire avec leurs blagues de potache, je vrai vibrer avec Johann pour que les diesels tiennent, je vais trembler lorsque les grenades vont chahuter le navire. Petit à petit je vais, comme eux, sombrer.
La force de Petersen est d'avoir réussi à non pas faire un film de guerre, mais un film durant la guerre. La guerre, c'est d'abord l'ennui et l'attente. Ici, c'est symbolisé par ce rythme lent, par cet océan sans fin, pas ces navires que l'ont cherche et qui ne viennent pas. Alors, on blague. On rit, on pense à sa petite française à qui n a fait un gamin et qu'on espère revoir bien vite car, finalement, cette guerre, on s'en fout. On mange, on dort, on joue aux cartes. On écoute la belle musique du Reich et, bien mieux, on entonne It's a Long Way to Tipperary sous le regard troublé du jeune officier nazi de service.
http://www.youtube.com/watch?v=2zajdE5U2e8
Ainsi passe le temps que seules les vagues et l'écume viennent chahuter. Ainsi débute la quête.
Petersen filme des soldats. Jeunes, on peut les voir vieillir petit à petit, au rythme de leurs barbes devenues hirsutes et de leurs yeux qui se parent de ténèbres. La folie n'est jamais loin, elle guette, tapis dans les songes de Neptune qui attend son heure pour se gorger de son dû. Lorsque, enfin, l'action arrive, on sent une poussée d'adrénaline. On est venu pour ça ; pour voir des bateaux se faire couler sournoisement, pour suivre le U-Boot esquiver les grenades. Alors, la réalité nous écrase. Les navires alliés coulés, ce sont aussi ces marins qui se noient et qui brulent sous les regards sinistrement humains de leurs adversaires. Cette réalité c'est ce chasseur qui devient proie fragile, balloté par les explosions. Ce sont ces regards d'une jeunesse terrifiée, c'est Johann qui bascule dans la folie. C'est le craquement de la coque sous la pression. Ils attendaient la lutte ; à présent, ils attendent la fin. Cette fin qui se mue par le génie de Petersen en une quête de sens pour le spectateur.
Au-delà du pourquoi de la guerre en général, l'œuvre s'empare de nous. Tel Shaka lançant son Tenbu Hôrin, Petersen s'attaque à nos sens.
L'ouïe tout d'abord : le bateau craque, les moteurs éructent, la mer gronde, le sonar nous chasse, la musique nous prend avant que, finalement, le silence nous étreigne.
Alors notre vue se brouille : les visages deviennent fantomatiques, la terreur se lit dans les yeux, l'écarlate des lumières fini par s'estomper et nous plonger dans le noir.
Notre goût se brouille. Il y avait le sel de la mer, le goût de ces plats de plus en plus fades, de cette bière que l'on attend. Bientôt ne reste que celui de notre salive.
Alors on touche ; le métal est froid, la graisse des torpilles visqueuse. On ne peut plus qu'espérer toucher à nouveau la mer qui s 'écrase contre nos visages.
Reste alors notre odorat. Viennent à nous l'odeur de l'alcool, de la pisse et de la gerbe du départ, lorsque tout était heureux. A présent l'air embaume de l'huile des moteurs, du ventre de ce bateau si exigüe, de ces saucissons qui pendent de partout, de ce simple chiotte que l'on se partage tour à tour. Finalement perdre l'odorat semble avoir du bon.
L'attaque n'est pourtant pas finie. Privés de nos 5 sens, l'adversaire, impitoyable s'attaque à notre esprit. Fini l'espoir. La peur est partout, la mer nous fait basculer dans l'irrationnel. Nous attendons la mort avec eux, comme ne délivrance.
Das Boot est le premier film qui m'a montré le véritable visage de la guerre. Bientôt allaient suivre bien d'autres, de Platoon à L'ouest rien de nouveau en passant par La Ligne Rouge ou Croix de Fer. Mais, à tout jamais, Das Boot restera le premier.
L'édition Bluray est magistrale et les bonus déments (ah, cette visite du Bateau par le "Vieux" himself !!). L'essentiel se passe en intérieur et l'atmosphère oppressante est sublimée par le grain de cette restauration. Les visages sont d'une pâleur terrifiante et, 30 ans après, ce film reste l'un des plus précis et exacts de tous les films de sous marin et de guerre en général. Immersif, l'oeuvre reste d'une force incroyable malgré son aspect minimaliste. Techniquement, même avec ses maquettes, il touche même au sublime et certaines séquences font partie des meilleures constructions et écritures de l'histoire du 7è art à l'instar de celle-ci :
http://www.youtube.com/watch?v=HUInWKK8ROc
Rarement une écriture n'a été à ce point au service d'une tension aussi grande. Ce voyage vers l'enfer est d'une force toujours assez incroyable. Véritablement habités, les acteurs sont tous fantastiques de justesse. Epique, terrible, Bas Boot est un film qui doit être vu - en VO cela va de soit - et médité. En attendant, fermez les yeux et écoutez cette mélopée, parmi les plus grandes de toute l'histoire du cinoche.
http://www.youtube.com/watch?v=snnwjoToN-8
Moi je vous laisse, je dois me focaliser sur mon septième sens pour recouvrer mes esprits.