Ce film de Claude Chabrol a la fraîcheur d'un premier film, et s'il a beaucoup vieilli, son noir et blanc provoque l'intérêt pour un passé irrémédiablement révolu.
Le village de Sardent dans la Creuse est une photo de la France rurale d'après-guerre. La vie s'y écoule dans le calme entre les deux piliers de la France rurale d'alors: l'église, qui commence à se vider et le bistro où les verres se remplissent. Les enfants jouent sur la place du village, pas encore envahie par les voitures, le chant du coq n'est pour personne une nuisance qui se règle par procès, tout le monde se connaît et se salue. Mais la vie quotidienne est loin d'être romantique. Les habitants sans espoir d'amélioration de leur situation s'enlisent, comme dit le curé dans le film, et n'ont aucun espoir de voir leur vie s'améliorer.
L'arrivée d'un élément extérieur, inhérente au film se situant dans un milieu clos, va entraîner chez certains villageois un rappel de la médiocrité de leur existence et attiser la défiance entre ceux de la ville et ceux de la campagne à travers deux personnages profondément humains et touchants. François, (Jean-Claude Brialy) l'étudiant de la ville promis au succès, va apporter sans le vouloir à Serge (Gérard Blain) et à sa femme Yvonne (Bernadette Laffont ) le reflet insupportable de leur échec. Serge voulait devenir architecte et se retrouve conducteur de camion. Son enfant mort-né étant trisomique, il a peur que le futur enfant le soit aussi. En voulant aider son copain qui noie son infortune dans l'alcool, François, l'ami d'enfance de Serge, ne se doute pas qu'il ne fait qu'envenimer une situation à laquelle le couple aurait fini par s'accoutumer.
Au moment de la fête du village, la séquence la mieux observée, les deux anciens amis en viendront aux mains. Après les bonnes cuites, les fêtes de village étaient souvent, d'après mes souvenirs, l'occasion annuelle d'exprimer les rancœurs refoulées. Mais on peut reprocher au film de ne pas mettre les habitants de la province en valeur, ce qui deviendra par la suite habituel chez Chabrol. La fin du film est par contre invraisemblable, avec l'étudiant promis à un bel avenir qui se sacrifie et se convertit en une sorte de saint laïque.
Chabrol parvient cependant à recréer avec justesse la confrontation de deux caractères opposés. Jean-Claude Brialy, extrêmement gentil dans la vie, joue un personnage qui lui correspond. Gérard Blain, dit le beau Serge, est un écorché vif qui a le rire mauvais de l'alcoolique qui se rebelle contre sa propre vie. Et Bernadette Laffont, dans l'éclat de sa jeunesse, a un peu le même rôle que dans la Fiancée du Pirate, celui d'une beauté rayonnante qui fait tourner toutes les têtes.
Avec le beau Serge, Chabrol entame sa carrière par un coup de maître et signe avec brio le début de la Nouvelle Vague.