Je n'aime pas trop les premiers films de Chabrol, ceux des années 60, j'apprécie mieux ses films à partir des années 70 parce qu'il touche à des thématiques qui sont pour moi plus parlantes et sa mise en scène est plus maîtrisée. Mais j'aime assez le Beau Serge qui pourtant est son premier film, il y a quand même peu d'imperfections, seulement une mise en scène qui n'a pas encore atteint sa pleine maîtrise, et aussi un réalisme trop réducteur. Sinon, les personnages sont bien cernés, révélant 3 bons comédiens avec Brialy qui va vite devenir le nouveau jeune premier, Gérard Blain en écorché vif, et Bernadette Laffont en fille effrontée et libre, emploi qu'elle tiendra dans plusieurs autres films. Et surtout ce qui caractérise Chabrol, c'est déjà sa façon d'observer cette province de village aux moeurs très différentes de celles des Parisiens.
Mais le film va plus loin que la chronique rurale réaliste qu'on a cru y voir un temps, il montre des personnages qui s'affrontent et se heurtent, et qui sont mus par des désirs inconscients, tel celui incarné par Brialy, étudiant à Paris qui revient longtemps après dans son petit village de la Creuse et qui y fout le bordel en réalité, puisque se croyant investi d'une mission rédemptrice, il tente d'aider son ancien copain Serge, mais il ne fait que semer le désordre et la souffrance.
Ce qui est intéressant, c'est que ce film réalisé avec un budget modeste dans le village de Sardent où les parents de Chabrol étaient pharmaciens, apportait un ton nouveau dans le cinéma français et contribua à lancer la Nouvelle Vague, faisant de Chabrol le chef de file de ce courant. Manichéen, désinvolte, saugrenu, le Beau Serge jouait sur des codes nouveaux qui allaient porter un rude coup au cinéma de papa. D'un autre côté, le film me plait à moitié quand même parce qu'il a sans doute involontairement contribué à donner du monde rural et des campagnards une image déprimante d'arriérés et d'ivrognes qui a été longtemps colportée par un certain parisianisme, d'où un mépris de la province depuis cette époque. Donc voir Brialy jouer le sauveur citadin apportant la bonne parole aux bouseux n'est-elle pas une image misérabiliste qui a vieilli ? Aujourd'hui, tout ça a bien changé, il faut donc voir ce film avec un certain recul et le replacer dans son contexte d'époque.