Deuxième volet des adaptations des pièces de théâtre d’August Wilson, Le Blues de Ma Rainey est une œuvre pour le moins puissante. Sa conclusion douce et amer s’oppose à son côté très haut en couleurs, porté par les deux personnages. D’un côté, celui de Ma Rainey, incroyable personnage d’une richesse incroyable, charismatique, magnétique dans son exubérance et sa détermination. On est drainé dans chaque scène, touché par une personnalité forte, marquante, qui ne lâche rien. On peut y voir aussi bien une diva aux caprices futiles, qu’une chanteuse qui a conscience de ce qu’elle a et du danger qui l’entoure à chaque détour. Et pour ce genre de film, il faut bien sûr un contrepoids à la hauteur pour s’opposer, défier le personnage de Ma Rainey, et Levee y est fabuleux. Débordant d’une fougue propre à la jeunesse, la passion et une certaine naïveté, c’est une véritable tornade qui dissimule quelqu’un de touchant.
Le film se construit donc comme une pièce de théâtre, alternant les scènes dans des décors bien délimités, où au-delà même de l’action, c’est bien les dialogues qui sont au cœur de l’intrigue. Souvent très vifs, pertinents, ils nous entraînent dans un long flot qui ne s’arrête que pour quelques moments de musique. Chaque fois, on semble passer un nouveau climax où Ma Rainey semble à deux doigts de tout plaquer, où Levee se laisse un peu plus dévorer par ses traumatismes et sa passion. Un duel à distance pour une grande partie du film, puisque les deux ne se retrouveront ensemble qu’à de rare reprises, mais cela ne rend pas le duo moins fort. La fin n’en sera que plus brutale, car inattendue et surprenante, mais plutôt cohérente. C’est surtout le rythme du film, très dense mais en même temps très dynamique, qui fait qu’on ne voit pas le temps passer et que quand ça éclate à la figure des personnages, on est tout aussi choqué.
Le casting est somptueux. J’ai beaucoup aimé le trio Glynn Turman, Colman Domingo et Michael Potts, ils dégagent quelque chose d’assez crédibles et captivant dans l’énergie qu’ils ont ensemble. Taylour Paige, Dusan Brown, Jeremy Shamos et Jonny Coyne sont tout aussi bons, même si leurs rôles sont un peu plus discrets. Dans ce qui est son dernier rôle, le regretté Chadwick Boseman est impressionnant, puissant, touchant. Il déborde d’une telle fougue, il rentre si bien dans le personnage que chaque scène est incroyable, qu’on oublie l’acteur derrière pour ne voir que Levee. Et quoi de mieux pour contrebalancer un immense Boseman qu’une incroyable Viola Davis ? Elle est fabuleuse, fantastique, phénoménale, peut-être l’un de ses plus grands et meilleurs rôles. Son regard, sa voix, son langage corporel, tout frise la perfection dans chacune des scènes, même les plus anodines.
Techniquement, le film est plutôt bon et on y retrouve bien l’aspect un peu théâtrale : la musique est principalement diégétique, les unités de décors sont fixes, mais riche en détails, la mise en scène reste dans un cadre plutôt classique, mais parvient à transcender ses personnages lors des scènes phares, car on est au plus prêt d’eux, sans superflu, juste la prestation. Le montage ira dans ce sens aussi, avec parfois des séquences, des scènes et des plans plutôt long, sans qu’ils soient compliqués, le cœur est le dialogue.
Bref, j’ai beaucoup aimé ce film. Une histoire et des personnages captivants, un casting incroyable mené par un duo d’acteurs fantastique, le tout bien rythmé et conçu. À l’image de Fences, j’y ai passé un bon moment.