La culture américaine à l’état pur réside dans le western. Sergio Leone y a découvert son intime affinité avec le genre en lançant « Pour une poignée de dollars », suivi de « Et pour quelques dollars de plus ». Le succès est amplement mérité, sachant que ce qu’il livre à présent est de l’ordre du chef d’œuvre. En déjouant quelques codes, où John Ford et autres trônaient, ainsi qu’en y ajoutant un subtil burlesque dans la narration, le réalisateur italien use de mélancolie pour structurer cette aventure singulière. Il clame l’antimilitarisme en éparpillant les méfaits de guerre et donc en prenant parti des blessés, quel que soit le camp. Et c’est dans le mariage de la bouffonnerie et le cynisme que naît la virtuosité, tant convoitée et tant exprimée.
On nous introduit Blondin, campé par un Clint Eastwood d’exception. Picaresque et humain, on ne songe pas non plus à lui donner tous les critères d’un honnête homme, spéculant son sens de la justice à tout-va. Il s’agit d’une ordure, tout comme Tuco, interprété par Eli Wallach, qui l’accompagne dans une quête bénéfique. Truand dans l’âme et divertissant dans l’écriture, il instaure un climat de confiance pour le spectateur, ce qui serait ironique dans le ton de l’intrigue. Chacun aura besoin de l’autre, entre les tranchées nordistes et la misère sudiste. La guerre de Sécession ravage bien des vies, mais ces derniers ne s’en soucie guère, si ce n’est dans une ultime action nuancée, en déplaçant le conflit pour un profit personnel. La chasse à l’or, devient à présent une activité qui ravit les sensibles de la gâchette, car le Far West leur appartient. Lee Van Cleef, qui incarne Sentenza, le démontre par sa présence sournoise, toujours prêt à duper et à croiser le canon contre ceux qui l’empêcherait d’assouvir son avarice et sa cruauté.
On le comprend assez rapidement, nous aurions beau parlé d’individus en tant que tel, mais il s’agit surtout d’un ensemble. Il serait inconcevable d’imaginer une relecture ou une autre interprétation du film, sans la baguette d’Ennio Morricone pour insuffler un esprit épique et impérial. Nous en venons donc à ce qui aura été l’aboutissement de toute une excursion à travers l’horreur et délits que l’on considérera à leur juste valeur. Nous atteignons, dans un dénouement triomphant, l’apogée émotionnelle. Dans l’enceinte d’un colisée, où les défunts sont spectateurs d’un « truel » tant attendu, il ne restera que de la chair fraîche ou de la chair intacte. Mais avant, nous succombons à la mise en scène de l’italien. Il insiste sur les longs plans, cadrés sur des regards, des postures, des détails qui font qu’une scène dégage une puissance.
Clôturant la trilogie de Leone, « Le Bon, La Brute et le Truand » fait preuve d’humanité dans ce chaos sans morale. L’indifférence plane autour des conflits, même les plus oubliables. Mais le western spaghetti du réalisateur galvanise un sentiment de pureté, dans la justesse qu’il fallait. Cyniques et habiles comme un as de la gâchette, Blondin et ses partenaires de fortune ont su mériter toute l’attention, dans ce tourbillon mythologique, rongeant les âmes des vices primitives. Cohérent, captivant et pertinent, les discours de Leone font mouche, à l’image de son perfectionnisme admirable.