Sergio Leone poursuit avec ce film son exploration de l’ouest américain. Après une adaptation du Yojimbo de Kurosawa et une suite sous forme de chasse à l’homme concurrentielle, il clôture ici le triptyque de l’homme sans nom en beauté avec un de ses films les plus brillants, complets et prenants.
Dépoussiérant sérieusement un genre qui vivait a priori ses dernières heures depuis deux films, Sergio Leone commence le tournage du film auréolé du succès des deux précédents, avec plus de budget, les mains libres, et des ambitions.
Là ou les deux premiers westerns se concentraient sur la petite histoire, sans contextualiser outre mesure, Leone place ici ses héros dans le cadre de la guerre de Sécession. Se baladant dans l’ouest américain à la recherche d’une somme faramineuse, Angel-eye, Blondin et Tuco vont être confrontés à l’horreur de la guerre, depuis les camps de prisonniers où l’on torture jusqu’aux champs de batailles aux allures de charniers en passant par les refuges/camps/hôpitaux de fortune.
Pas d’angélisme ici puisque ni les confédérés ni les yankees ne trouvent grâce aux yeux du film qui souligne plutôt l’absurdité du conflit et les morts inutiles (avec les deux assauts quotidiens pour le contrôle du pont comme meilleur exemple). Pas d’angélisme non plus dans la personnalité de Tuco, seul véritable être humain parmi les héros, qui pour canaille abjecte qu’il puisse être n’en reste pas moins parfois attendrissant, surtout lors de l’entrevue avec son frère devenu prêtre à qui il balance ses quatre vérités sur le courage la lâcheté et l’absence de choix auquel on peut être confronté quand on nait dans la misère.
A ses côtés, on trouve un ange de la mort, Angel-eye, personnage vêtu de noir et porté par un canasson de la même couleur, et un ange gardien, notre fameux homme sans nom surnommé Blondin par Tuco, qui « sauve » régulièrement des vies et accède aux dernières volontés des mourants. L’identification est difficile avec ces personnages qui ne se posent que comme des figures mythologiques et archétypales, aux côté d’un Tuco qui lui est à mi-chemin entre l’animal poussé par ses instincts et l’Homme, potentiellement aussi mauvais que bon.
Parce qu’ils sont peut-être trop en phase avec la période insensée décrite (morts à tous les étages, amoralité totale, violence permanente, détachement), Lee Van Cleef et Clint Eastwood deviennent en effet des allégories du cadre plus que de véritables personnages et laissent le champ libre à l’idiot du village qui se révèle pour le coup régulièrement touchant.
Filmé avec une justesse et une dramatisation brillante, déroulant un catalogue de gueules magnifiques, faisant passer par l’image plus de propos dans certains plans que de sombres tâcherons (que je ne nommerais pas, faites votre choix il y a de quoi) ne le feront pendant toute leur carrière, Sergio Leone propose un film d’une beauté sombre et crasse, misérable, mais aussi drôle, tragédie grecque et comédie italienne, c’est une somme de ce qu’on peut rêver de voir au cinéma.
Si on ajoute l’acmé que représente le cimetière de Sad Hill, où la symbiose entre la caméra les acteurs et la musique est d’une perfection totale, on comprend qu’on est devant une œuvre majeure, fondamentale, peut-être le plus grand film de tous les temps.