J’ai toujours préféré les brouillons aux œuvres finalisées, les croquis aux dessins finis, les esquisses aux toiles de musée. J’y trouve toujours une liberté imprenable, une fougue créatrice, prenant surement racines dans une spontanéité de circonstance, de l’idée, du ressenti directement jeté sur le papier, le bloc de marbre, le pain de terre ou le coin de toile.
J’ai toujours préféré les dessins de Michel-Ange ou les croquis de Léonard, réalisés d’une main prompte et libérée en bout de marge, ces mêmes croquis qui servaient de paillasson dans l’atelier des Maîtres à l’époque. Que dire sinon des esquisses de Delacroix à la plume et l’aquarelle, éclats de vie bien plus saisissants encore que ses toiles finies, des lignes de Giacometti, des ébauches de Rodin, des tracés fous de Géricault… Je reste même persuadé que Mozart, Bach ou Beethoven réalisaient des chefs d’oeuvre sans même s’en rendre compte alors que rêvassant, nez en l’air, ils laissaient leurs mains effleurer les touches d’un piano impatient.


Il était une fois dans l’Ouest est le chef d’oeuvre de Leone. C’est sa Chapelle Sixtine, son Adoration des Mages, sa symphonie la plus aboutie, un requiem à l’harmonica. C’est un film parfait. Et c’est notamment en ça que Le Bon la Brute et le Truand est meilleur.


Le volet final de la trilogie de l’Homme sans nom touche les cimes de l’art cinématographique peut-être notamment en cela qu’il n’est que presque parfait. Il se permet encore un manque, il n’a pas ce petit quelque chose qui fera de l’ultime virée dans L’Ouest la fresque du genre la mieux construite, la plus aboutie, le modèle ultime de la narration poussiéreuse à l’odeur de poudre. Et c’est ce manque, ce blanc sur le papier, ce vide intangible, léger déséquilibre, qui offre au Bon la Brute et le Truand la folie des plus belles esquisses, l’explosivité d’un croquis endiablé. C’est fou. Improbable et jubilatoire. Se permettre tant de choses dans un même film, tout à la fois monument de mise en scène, suite de cadres de toutes les démesures, personnages poseurs au possible aptes à illustrer les meilleurs plaisirs coupables, générosité gargantuesque dans une montée progressive, une suite de symphonies composées chacune dans la forge des plus belles pièces, s’élevant doucement vers le réveil du Léviathan, l’œil du typhon, les trois personnages, vestiges d’une cavalcade desséchée, regards de prédateurs et de proies perdues dans des gueules crevassées, au centre du cratère circulaire d’une euphorie volcanique dans une partition mirifique.


Quand, gosse, tu regardes ce film en boucle, tu n’te poses pas la moindre de ces questions. Tu es intrigué et plein de sympathie pour la trogne vaguement modelée de ce cher armurier, tu aimes te prendre pour Blondin en enfilant ton dessus de lit comme un poncho, tu rêves de porter fièrement le chapeau de Tuco, le visage dans l’ombre, tu crains la tronche d’épouvantail au nez de rapace de Sentenza comme l’alligator qui se cache chaque nuit sous ton lit en guettant tes petits petons nus, tu sifflotes The Ecstasy of Gold sur le chemin de l'école, ton rêve culinaire ultime, c’est des patates et du choux dans une gamelle en bois. Tout ça tout à fait naturellement, sans même t’apercevoir que tu croises régulièrement sur ta VHS ce qui est probablement le meilleur film de tous les temps. Un film magistral, bâti comme une tornade démente, un film fou, l’oeuvre de tous les excès contenus dans un épiderme de génie, une toile de maître ne pouvant contenir la fougue du croquis, une symphonie trouvant son accomplissement dans l’inachevé.

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le 18 mars 2015

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zombiraptor

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