Il y a quelque chose de profondément triste dans "le bon, la brute et le truand". La plainte en arrière-plan d'un pays en cours de démolition, l'agonie en sourdine de pauvres bougres - tandis que nos pistoleros s'affrontent dans le bruit et la fureur -, cristallisent une forme de mélancolie qui ne pouvait mieux se sublimer que dans un final héroïque au milieu des tombes de Sad Hill. Comme un symbole.
Dans ce dernier opus de sa trilogie, Sergio Leone fait en effet le choix décisif de placer l'action au cœur de la guerre de Sécession. Les canons qui fument, les exécutions froides et sommaires d'ennemis, les camps remplis de blessés ou d'estropiés, les soldats sans émotion qui courent s'entretuer sur un pont disputé, ponctuent la lente et inéluctable mise en place de l'affrontement des trois chercheurs d'or. Pour une fois, ce ne sont pas leurs armes qui hurlent le plus fort, qui font le plus de morts.
Le regard décalé que pose Leone sur la guerre est ici fort intéressant. Nos trois héros traversent un conflit qu'ils ne comprennent pas , qui ne les concernent pas. Les voir poursuivre leur actions, voire même achever leurs phrases après un coup de canon sans y prêter la moindre importance, a quelque chose de fascinant. La guerre n'est qu'un décor, avec lequel ils doivent composer, et ils se trouveront tour à tour dans les deux camps, sans que cela ne les affecte le moindre du monde.
Mais pour ces hommes qui donnent la mort pour des raisons qui leur sont évidentes et souvent faciles (il est vrai), la rencontre forcée et frontale avec la boucherie, lors de l'attaque du pont, est une forme de révélation. Voir le bon sursauter (enfin !) sous les bombardements, l'entendre avouer "jamais je n'ai vu un tel gâchis d'hommes", constater sa compassion envers un jeune soldat sudiste agonisant, sont les signes d'une sorte de prise de conscience de l'existence d'une barbarie plus grande que la leur, qui tue sans savoir qui ni pourquoi.
Certes, la pause méditative ne sera guère longue, et le bon saura dans l'instant qui suit, déjà, quel usage faire d'un canon devenu inutile. Une sorte de pragmatisme qui l'a toujours caractérisé, et qui a assuré sa survie. Et tandis que résonne plus fort que jamais sur Sad Hill, la colline aux cinq mille tombes, la bêtise d'une brutalité supérieure, nos trois compères, imperturbables à nouveau, scellent leurs destins dans un choc épique célébré par Morricone.