J'ai le cul bordé de nouilles. J'ai eu l'incroyable privilège de redécouvrir Le Bon, La Brute et Le Truand sur grand écran la semaine dernière. Et en version cinéma d'origine, s’il vous plaît ! À savoir : pellicule argentique 35 mm, 3 heures, doublage italien, inversion de Tuco et de Sentenza lors de la présentation...
Eh bien par Toutatis, quel spectacle, mes enfants ! Quel putain de spectacle !
Ce film, il est fou. Après le succès de ses deux premiers westerns avec Eastwood, Leone veut faire un truc démesuré, un truc énorme, un truc dingue, un truc jamais vu. Au niveau de la mise en scène, c'est une idée géniale toutes les dix secondes. Ces gros plans de taré ! Ces paysages de fou ! Ces cadrages de génie ! Ces éclairages de psychopathe ! Ce montage de désaxé putain ! Je me suis surpris à avoir la chair de poule plus souvent qu'à mon tour (alors que je le connais par cœur !).
Déjà le générique, avec ses photos ambiance XIXème, ses animations déjà violentes, ses coups de feu et de canon, sa musique emblématique, tonitruante, royale... T’as pas le temps de respirer ! On enchaine sur un plan très large d'un paysage, auquel vient se greffer la tronche patibulaire d'Al Mulock, avec en fond sonore le hurlement d'un coyote (dont est inspiré le thème principal, mais qui l'ignore encore ?). La scène se poursuit et au bout de cinq minutes c'est déjà mort : tu ne pourras pas décoller tes yeux pendant 3 heures. Avec cette première scène (et les suivantes), le décor est planté : ce sera crade, ce sera violent, ce sera grand, ce sera beau, ce sera épique, ce sera ultime, ce sera culte, ce sera même assez souvent drôle. Et pendant les 3 heures du film, absolument rien ne vient contredire ce postulat.
Les personnages principaux, pourtant incroyablement attachants, sont les plus grands dégueulasses que la Terre ait jamais portés. Absolument pas concernés par la guerre et l'autodestruction qui les entourent, ils érigent l'argent et le vice en valeurs suprêmes, pour faire d'un magot de pièces d'or une sorte de Saint-Graal qui couronnera leur carrière de salaud. Leone retourne toutes les conventions et s'affranchit de toute considération morale, pour construire un monument à la gloire de la violence. Illustration parfaite de ceci : Lee Van Cleef, qui interprétait un sympathique et respectable gunfighter dans le film précédent, est ici un salaud de la pire espèce, qui n'hésitera pas à tuer des enfants et battre des femmes, tant que ça peut servir son intérêt (voire son simple amusement).
Pour une œuvre réputée pour contenir peu de dialogues, le nombre de répliques cultissimes est impressionnant. En fait, je pense que Leone a du écrire un dialogue normal, puis le tamiser sévère pour n'en garder que l'essence même, la substantifique moelle. Les acteurs sont évidemment parfaits dans leur rôles respectifs, avec une mention spéciale à Eli Wallach qui livre une performance surhumaine, volant complètement la vedette aux pourtant irréprochables Clint Eastwood et Lee Van Cleef. Les nombreux seconds rôles sont eux aussi irréels (Aldo Giuffrè, Luigi Pistilli, Mario Brega...).
Leone file un grand coup d’éperon dans la gueule du cinéma. Plus rien ne sera jamais pareil après ça. C'est l'ultime film baroque, la beauté sauvage portée à son paroxysme, de manière tellement extrême que c'en devient presque insoutenable. Pendant trois heures, tes yeux te brûlent, tes oreilles te brûlent. Oui parce que Leone sait s'entourer. Lui et Morricone (des amis d'enfance) se connaissent par cœur, et chacun sait exactement ce que l'autre veut, et ce dont il est capable. La scène du cimetière, qui est une des moins palpitantes du film scénaristiquement (Tuco court dans un cimetière) en devient une des plus belles et des plus mémorables grâce à la complicité et l'inestimable talent de ces deux-là.
Et puis Le Bon, La Brute et Le Truand, en plus de son côté baroque et crépusculaire, c'est aussi un putain de film de guerre ! On ne voit pas un seul combat bien sûr (tout au plus on en aperçoit un lors de la scène du pont), mais la guerre de sécession constitue une véritable toile de fond omniprésente du début à la fin. En définitive, elle est quasiment un personnage à elle-même, une sorte de Keyser Söze, qu'on ne voit pas vraiment mais dont la présence dégouline de tous les plans, et qui contribue largement à mettre en avant à la fois l'absurdité de la quête des personnages principaux qui ne font que la traverser, -presque- indifférents à ce qui se passe autour d'eux, mais aussi sa propre absurdité, à travers des passages aussi discrets que déchirants et essentiels (le violoniste qui n'arrive plus à jouer, la célèbre scène du poncho...).
Le Bon, La Brute et Le Truand, c'est pas un film qui se regarde, c'est pas un film qui s'écoute... C'est un film qui se vit, avec chaque fibre de ton petit corps. Tu le vis, et tu le revis avec un plaisir intact, voire augmenté, à chaque visionnage.