A la rencontre de la légende. Point final d’une trilogie qui a marqué l’histoire du cinéma, Le Bon, la Brute et le Truand est aujourd’hui un film dont absolument tout le monde connaît le nom et la musique, entrés dans un imaginaire commun appartenant bien plus qu’aux simples cinéphiles.
Un regard. Tout de suite, après un générique haut en couleurs, la caméra se braque sur deux yeux au bleu perçant, au milieu d’un visage marqué. Un regard, comme ceux qui marquèrent les deux films précédents, s’adressant à deux autres regards. Trois hommes se font face, dans un moment de flottement où le temps semble suspendu. Lequel tirera le premier ? En réalité, tous étaient en quête d’un seul et même homme, le fameux truand, qui réussit à s’échapper de ce traquenard, non sans fracas.
Le ton du Bon, la Brute et le Truand est ainsi donné : les règles du temps vont être déjouées, la tension sera à son comble, et l’imprévu pourra surgir à n’importe quel moment. Il faudra attendre dix minutes pour que soit prononcée la première réplique du film, montrant une nouvelle fois tout le génie contemplatif de Leone, qui pose son regard sur les personnages avec suffisamment d’attention pour que nous puissions les cerner, et donner encore plus d’impact aux accès de violence qui rythment le film.
Le truand se dévoile en fuyant un guet-apens. La brute impose son autorité en quittant une maison où s’empilent les cadavres, dans un plan révélateur où le cadre de la maison entourent le tueur, laissant derrière lui un père et son fils froidement assassinés. Le bon, quant à lui, sauve un homme de la potence, mais pas seulement à des fins purement nobles. Trois protagonistes, trois visions du monde, mais, malgré leurs désignations attitrées, chacun est un peu des trois. Comme dans les films précédents, leur évolution et leurs chemins vont être dictés par des jeux de manipulation et de trahison, motivés par l’argent, éternel pervertisseur d’esprit, notamment dans ces contrées lointaines. Toutefois, ce troisième film va se distinguer des deux précédents par l’ampleur et le ton pris. Le Bon, la Brute et le Truand s’extirpe de l’aridité des deux films précédents, pour élaborer un tableau plus vivant et large, où la petite histoire vient côtoyer la grande, dans un ensemble où mélancolie et humour viennent lui ajouter une touche de magie.
Du conte lointain que pouvaient être Pour une poignée de dollars et Et pour quelques dollars de plus, Le Bon, la Brute et le Truand passe à grande épopée à travers la guerre de Sécession. Ceux qui faisaient leurs petites combines dans leur coin se retrouvent mêlés à un vaste conflit aussi sanglant qu’absurde, où l’on joue de la musique pour cacher un passage à tabac, et où des officiers boivent jusqu’à l’ivresse pour faire fi de la réalité à laquelle ils sont confrontés. C’est l’occasion de moments où s’exprime une humanité touchante et inhabituelle, associée à une forme de mélancolie, qui se ressent notamment dans la partition d’Ennio Morricone, proposant par moments une instrumentalisation et des mélodies qui préfigurent le prochain Il était une fois dans l’Ouest, qui poursuivra cette exploration de l’Histoire avec un grand H.
Par ailleurs, lorsque les deux autres films faisaient preuve d’une gravité permanente, Le Bon, la Brute et le Truand se permet de faire preuve d’un humour savamment dosé, notamment incarné par le personnage de Tuco, le fameux truand, véritable facteur X, tirant toujours les draps à lui, s’extirpant des pires situations, exagérant et faisant un drame de tout. « Quand on tire, on tire, on ne raconte pas sa vie » dira-t-il, pour bien rappeler que le temps est la clé, et que les paroles sont souvent secondaires.
Le cinéma de Leone, déjà flamboyant dans les deux précédents films, atteint ici une ampleur inédite, faisant preuve d’une ambition hors normes, atteignant la grâce autant dans de très gros plans que dans de vastes plans regroupant des centaines de figurants. Tout a sûrement été déjà dit sur ce film qui s’impose aujourd’hui comme étant l’un des plus grands incontournables du septième art. Une formidable épopée aux multiples rebondissements, aux personnages remarquables, toujours aussi vivants et consistants devant la caméra de Leone, qui livre de sublimes images, accompagnées de la non moins légendaire partition d’Ennio Morricone, qui y est également pour beaucoup dans la réussite du film, donnant naissance à des morceaux aujourd’hui de tous, et qui nous restent en tête longtemps encore ensuite. On touche ici à la grandeur cinématographique, où la magie du septième art nous cueille et nous rappelle à quel point cet art est si beau, vivant, et éternel.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art