C'était il y a deux semaines. J'entrais dans la salle 29 de l'UGC Strasbourg, pour voir le Culte de la semaine. Le Bon, la Brute et le Truand, ce film qu'on me présente partout comme un Géant du cinéma, ce film qu'on adule sur tous les sites de passionnés, en particulier ici sur Sens Critique. Je prenais donc place, trépignant d'impatience dans mon siège, comme à mon habitude quand je m'attends à voir un grand film.
C'était il y a deux semaines. Ecran noir. Salle presque remplie. Du jamais vu pour un UGC Culte. Première scène, première lenteur, premières explosions, premier changement de rythme. Première éjaculation cinématographique quand apparaît à l'écran "The Ugly" sur les premières notes d'Ennio Morriconne.
C'était il y a deux semaines et je vois encore Tuco courir comme un halluciné à la recherche de son pactole, dans le cimetière, dans cette scène qui précède la mythique scène du cimetière.
Qu'est-ce que vous y trouvez? C'était la question que je me posais cette multitude d'admirateurs de Sergio Leone et de ses westerns. C'est la question que je me pose à moi aussi, moi qui suis désormais un énième conquis. Difficile d'y répondre, car difficile d'identifier une partie d'un absolu.
Le Bon, La Brute et le Truand c'est 3 heures de cinéma. Premièrement au niveau technique, c'est du caviar. On a droit, sur chaque scène et sans exception, à une leçon de cinéma signée Sergio Leone. Et on cette impression qu'il pourrait faire ça le temps d'une vie, sans s'arrêter, tant créer lui semble naturel. Un plan, une trouvaille. C'est aussi simple que ça. Au cinéma, il y a les plans d'ensemble, les plans américains, italiens, poitrine, les plongée, contre-plongée, champs, hors-champs, travellings, panoramiques, et bien d'autres. Et puis, il y a ce qu'on en fait. C'est là que le processus de création entre en jeu, c'est là que le réalisateur intervient, c'est là que le génie artistique peut s'exprimer pleinement. Sergio Leone le prouve, je l'ai dit plus haut, à chaque plan. C'est une oeuvre d'orfèvre qu'on a là, couplé à de l'inspiration divine, et à un formidable travail d'observateur de l'âme humaine. Car le western de Leone, ce n'est pas que des duels sanglants, des cow-boys à la barbe hirsute, des paysages grandioses en guise de théâtre; non. C'est aussi, en deuxième, troisième, ou millième lecture, un magnifique exposé de la nature humaine.
Cette même scène où Tuco court comme un dément à la recherche de son magot, est très puissante. Elle évoque l'absurdité d'une vie consacrée à déterrer des dépouilles sensées cacher la richesse. Elle pose la question du sens de tout ça; elle ridiculise la vie et la raison de vivre de Tuco en un plan: celui qui a fait d'un cimetière, d'un lit de mort, son eldorado, son nirvana. Il court comme un désespéré qui voit poindre devant lui, enfin, une lueur d'espoir. Et quelle est elle, cette lueur? Une tombe. De la terre. La mort, tout autour, qui devient indistincte à un moment, tant sa course vers la richesse lui fait oublier de regarder. De se regarder, et de regarder autour.
La puissance des scènes nous permettrait d'en discuter ainsi pendant des heures, tant elles sont denses, évocatrices et intelligemment mises en scène. Et tant elles sont divertissantes! Car il s'agit bien de ça aussi: le cinéma de Leone, en plus de toucher et de faire réfléchir, nous éclate avant tout. Quel pied! Le casting est remarquable et tout le monde le sait (Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Eli Wallach) je ne m'étendrai pas dessus.
Les répliques, souvent cultes, sont courtes, incisives, sarcastiques à souhait. L'humour est très utilisé par les personnages mais aussi par le réalisateur, qui n'hésite pas à s'exprimer également. Leone est omniprésent; on a l'impression qu'il nous parle à travers sa caméra, tant son cinéma est vivant et survitaminé. Et puis, que dire de la BO? Sinon qu'elle est une des plus belles que le cinéma ait connue? Et une des plus abouties surtout. Car une bonne BO, c'est avant tout une musique qui s'accorde harmonieusement à son image. Là, on atteint le summum de cette harmonie. A certains moments c'est même la musique qui emporte l'image. La musique devient le cheval et l'image la charrue: c'est à ce moment qu'on atteint, je pense, la quintessence du cinéma.