J'ai toujours un peu d'appréhension au moment de redécouvrir un Disney des 90's. C'était un peu la période des excès à tous les niveaux chez la firme aux oreilles rondes et on ne sait de toutes façons jamais trop à quoi s'attendre lorsqu'on revoit les classiques de notre enfance avec un regard bien différent.
Alors pour ça, pas de souci, ce Hunchback porte fièrement la patte des productions disneyiennes de l'époque. On se met à chanter toutes les 3 minutes pour tout et n'importe quoi, la réalisation grandiloquente ne manque pas une occasion de mettre en avant la maîtrise nouvelle des outils 3D, l'humour repose en grande partie sur des bourre-pifs bruités par Tex Avery (1), et il y a bien un acolyte pétomane (la gargouille zoophile qui fume une saucisse grillée lors d'une chanson qui parle de séduction, enfin bref).
Cela dit, même si la formule est rodée et a ses petits côtés horripilants, d'autant plus que l'humour assez puéril se marie mal avec le ton cruel de l'histoire, cet ersatz nettement édulcoré du roman d'Hugo a pas mal de qualités à faire valoir. A commencer par le fait qu'il s'agit justement d'une adaptation d'Hugo, et que le film repose donc sur du matériau narratif de premier choix. Le scénario, écrit à 48 mains (véridique), s'en trouve considérablement moins mièvre que, au hasard, celui d'un Aladdin, qui a bien mal vieilli dans mon coeur.
Les personnages, mine de rien, sortent des sentiers battus, y compris ceux qui sont construits autour des archétypes du film d'animation. Phébus n'est pas un jeune premier tête à claques, plutôt un gars sympa, tranquille, presque dans la force de l'âge, dont le côté gentiment hêbleur est compensé par une maladresse qui le rend attachant. Esmeralda campe une femme forte, quasi punk, au premier plan de la rébellion contre l'autorité, avec ce supplément d'âme apporté par la voix éraillée de Demi Moore. Claude Frollo, malgré ses airs de grand méchant bien méchant aux froncils sourcés, gagne en profondeur dans l'une des séquences les plus grandioses, "Hellfire"; l'ébranlement de la foi, l'ambiguïté entre la haine viscérale et le désir sexuel pour Esmeralda, même évoqués à demi-mot - voire à quart-mot, sont des thèmes plutôt inhabituels pour un Disney.
Il est vrai que la fin, bien qu'efficace, est plutôt naze et fait presque office de doigt d'honneur à Victor Hugo (comme si donner son nom à la pire gargouille du film ne suffisait pas). Mais il n'y a pas de quoi bouder son plaisir face à une oeuvre plastiquement splendide et spectaculaire, réhaussée par les arrangements épiques d'Alan Menken, qui glisse plutôt subtilement - du moins plus subtilement que d'habitude - son message de tolérance et de respect.
Puis merde, Tom Hulce, Kevin Kline, Demi Moore et Jason Alexander, c'est quand même autre chose que Patrick Fiori, Hélène Segara et Garou.
(1) En parlant de bourre-pifs, on trouve à la co-réalisation et à l'écriture du film les deux frères Brizzi, qui ont travaillé sur Astérix et la surprise de César. Ceci explique peut-être cela...