Tête de bite qui débite des bouts d'chair

A mon grand étonnement, j'ai vu en moins d'une semaine six Claude Chabrol, six films entre 1966 et 1973, et je plains, je plains sérieusement les cinéphiles d'aujourd'hui qui n'ont pas entendu cet homme parler. Moi qui suis très tatillon, à la fois sur la politique - les idées en général - et le cinéma - la culture en général, je crois qu'il y au monde un homme qui fait exception à mes yeux, et ce sur toute la durée de sa carrière, c'est bien Claude Chabrol.


Je n'ai rien à lui redire.
J'aime le côté simple qu'il dresse des rapports humains, de leurs passions, des problématiques homme-femme. Parfois il force le trait, c'est vrai, mais c'est toujours pour dire quelque chose de plus haut que le simple prosaïsme. Par exemple, quand quelqu'un meurt dans ses films, et il y en a eu un paquet de meurtres sauvages dans ses films, c'est toujours le reflet de la société, une sorte métonymie du fait divers évocateur d'un temps où si l'on tue dans nos sociétés civilisés, c'est bien parce que le monde est barbare. Que c'est voulu, tout ça. Qu'elle l'a bien cherchée la grosse salope.


Le Boucher ne fait pas exception. Popaul, notre héros, a vraiment un nom de bite (nom qui sera repris dans le film "Docteur Popaul" où il s'agira pour un tétraplégique de se souvenir du temps où il les courrait toutes).
Dès l'entrée du film, méthode toute chabrolienne, ça ne fait pas mystère. Madame Hélène, l'institutrice fait la dictée à la classe. Elle dicte un extrait de "La Femme de Trente ans", je crois. Et il ne fait aucun doute que lorsque toute la classe ricane du seul fait que l'héroïne porte le même nom que l'institutrice, la mise en abîme est en marche, sans aucun autre détour. C'est peut-être là, d'emblée la scène clé du film, à savoir que le boucher, le joyeux drille et transi d'amour, le dénommé Popaul, est un personnage balzacien : un personnage qui illustre son temps. Et son temps, c'est celui de la barbarie qui continue bien au-delà de "La ligne de démarcation", bien après la première, puis la seconde guerre. Popaul, en bon boucher, a connu toutes les barbaries à l'étranger. Il est le plus pur produit de la volonté impérialiste et de ses méthodes pas très chirurgicales. Et c'est cela qui est intéressant chez lui, car tout ce qu'il fait il le fait malgré lui. Il n'a pas vraiment d'existence, pas vraiment d'acte à lui. Il parle beaucoup, il a des avis sur tout, mais à vrai dire on sent bien qu'il subit tout un tas de frustrations dans un monde où il est inadapté, surtout dans le monde de Madame Hélène, laquelle n'a de cesse de l'infantiliser.


Et c'est vrai que l'une des propriétés caractéristiques de la monstruosité, c'est qu'elle peut-être excusée, pas légitimée mais comprise dans une certaine mesure, dans cette mesure où le libre-arbitre est trouble, dans la mesure où l'être humain entre dans des clairs-obscurs qu'il ne maîtrise pas. Cette pulsion touche les femmes dans ce film, l'occasion pour Chabrol de ré-aborder un thème dont je parlerai prochainement dans "Les Noces Rouges" : l'anormalité des rapports homme-femme exception faite de leurs inégalités socioéconomiques.


Sur un air qui me trotte dans la tête - "je tue je viole" de Skin Korps (le cherche pas sur google, il est censuré), Le Boucher, c'est donc l'histoire d'une continuité historique, de la perpétuation du crime de masse, comme une obsession (la France actuelle ne connaît pas une année où, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, elle n'est pas en paix). Il est l'exact tournant où les désirs s'expriment à travers la sauvagerie, comme s'il était amputé militairement de son sens affectif. Le Boucher, c'est la fable du rapatriement d'un corps barbare et débonnaire aux portes d'un petit village où l'isolement, la solitude et les rumeurs tenaces sont des moteurs, des réminiscences de la solitude qu'on peut éprouver en commettant un crime impardonnable.


Avec "Une affaire de femmes", "Violette Nozière" et "La Cérémonie", "Le Boucher" est un de mes Chabrol préférés.

Andy-Capet
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le 16 nov. 2016

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