Le jeune Nino Manfredi joue, dans ce film de Luis Garcia Berlanga, le rôle d'un timide croque-mort qui, de fil en aiguilles de modestes compromissions, aboutit à assumer une fonction qui le révulse autant qu'elle est socialement méprisée : bourreau.
L'idée du film serait venue à Berlanga grâce au récit d'un ami avocat ayant assisté à une exécution, où il vit le condamné se rendre dignement tandis que l'officiant était traîné contre son gré, gavé de tranquillisants !
On n'observe que la première étape de la transformation du bon bougre en assassin professionnel.
Manfredi, abonné aux rôles de grands benêts, était parfait, et Berlanga choisit le biais de la comédie noire (et pas vraiment trépidante ni hilarante) pour aborder le sujet de la peine de mort et de la corruption d'un homme : le gentil croque-mort est ferré par une douce fille de bourreau qui souffre de ne trouver aucun prétendant durable, et puisqu'ils sont tous refroidis par la fonction de son paternel, la solution consiste à introniser le dernier en date dans la dynastie en lui forçant un peu la main (pour peu qu'il ait le sens des responsabilités et le souci du qu'en dira-t-on, à l'époque, femme engrossée est femme épousée).
Et puis, il était temps pour le tueur approchant de la retraite de passer la main, car les condamnés n'étaient plus ce qu'ils étaient (?).
Pour situer le contexte de ce film tourné sous la dictature franquiste, je vais me baser sur un article d' El Pais.
Le film a été présenté au festival de Venise de 1964, au moment où Franco, lui-même surnommé "El Verdugo"(le bourreau) par la communauté internationale, venait de prononcer la condamnation à mort du communiste Julian Griman (fusillé) et des anarchistes Francisco Granado et Joaquín Delgado ("mort indigne" : étranglement). Le film fut aussi mal reçu par les anarchistes italiens, qui le prirent pour un éloge du régime, que par le pouvoir espagnol : l'ambassadeur à Rome, ancien ministre de l'information, tenta de le faire supprimer de la programmation du festival. Il déclara de manière un peu grandiloquente que le film lui paraissait "l'une des plus impressionnantes diffamations jamais prononcées contre l'Espagne ; un pamphlet politique incroyable, non contre le régime, mais contre toute une société. une critique caricaturale infinie du mode de vie espagnol."
Les autorités se contentèrent de dénoncer "la película más antipatriótica y antiespañola que se hubiera visto jamás".
Le film sortit pourtant en Espagne, avec plusieurs coupes de la censure, et remporta des prix là-bas aussi.
https://elpais.com/diario/2004/04/16/cine/1082066408_850215.html
http://www.cinespagne.com/films/2534-el-verdugo-de-luis-garcia-berlanga-un-grand-classique-terriblement-dactualite