L’eau et les trêves
Deuxième volet d’une trilogie consacrée au Chili après Nostalgie de la Lumière, Le bouton de Nacre en reprend les grands principes : mêler l’observation de l’immensité naturelle à l’Histoire...
le 17 nov. 2020
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Tenter de comprendre l'histoire par la poésie, pas impossible. Au contraire, il existe des objets, des décors et des paysages aux multiples evocations pour le coeur tendre. C'est le cas de ce bouton de nacre, collé sur une poutre au fond de l'eau, dont le sens s'echappe en multiples ramifications pour nous dire tout ou presque sur le massacre des "Patagons".
Le reportage prend donc le parti de la subjectivité poétique, pour nous parler à travers la voix de l'eau. Il faut d'abord faire admettre, entendre et traduire cette voix, par de magnifiques images du cosmos intersideral plus humide qu'on ne le croit, et par l'exposition périlleuse de glaciers qui grondent. On nous parlera aussi de la musique des rivières, dont il faut sélectionner dans la multitude de bruits les quelques-uns qui seront les instruments d'une soudaine et intime symphonie. L'eau élément essentiel à la vie. Et les océans aussi, fascinants et effrayants, dont les mécanismes d'incessants recouvrements rappellent ceux de la pensée, ainsi que sa terrible mais salvatrice capacité à ramener au bord les cadavres que l'on laissait pour noyés.
Le documentaire joue sur la poésie de l'eau, pour que l'on soit sensible bientôt au glissement qui s'opère vers l'histoire violente de la colonisation de la Patagonie occidentale par les Européens, puis de la patagonie australe et orientale par l'Argentine et le Chili. Rares seront, selon moi, les instants où la poésie rend le propos trop sybillin. Le propos est d'aborder les événements, et d'en frôler les terribles sentiments, et peut-être ressentiments, à travers un élément pivot : l'eau. L'eau est centrale pour le peuple des canoës ici présenté. Elle est un moyen pour nous de mieux les comprendre. Un moyen aussi de comprendre les échanges destructeurs qui furent imposés par les colons, et de comprendre le drame toujours en cours pour ce peuple australe, soumis à une réglementation chilienne aujourd'hui qui lui interdit de prendre la mer. Un moyen d'appréhender aussi le drame qui suivit, la mise à mort d'un bref espoir d'amélioration, par un coup d'état organisé pars les État-Unis contre Allende, puis l'horreur de la dictature de Pinochet, notamment contre les prisonniers politiques.
Le documentaire traverse ainsi les tranches du passé. Remonte jusqu'à nous. Jusqu'à la découverte plus récente sous l'eau d'un bouton de nacre incrusté à une poutre en metal de trente kilos, decouverte dont je ne vous dévoile pas le pouvoir d'évocation(s).
Il faudra tout de même, pour les incultes comme moi, faire quelques recherches personnelles pour tenter de joindre les divers tenants de l'histoire. Tout n'est pas dit.
Un documentaire en tout cas qui par la poésie parvient à parler de l'histoire avec autant de prudence que d'engagement, qui semble se donner les moyens de la respecter en tout cas, autant que possible, sans pour autant s'interdire de chercher à la comprendre, à en explorer le sens par des voies nouvelles, et tout semble tenir à l'intelligente cristallisation proposée autour de l'eau. On avance prudemment dans une histoire dont on sent que la violence, comme celle d'une super-nova, dépasse de toute manière notre imagination. Et important, on laisse la parole face caméra aux personnes concernés.
"Nous possédons la clé qui ouvre toutes les époques, parfois nous l'utilisons sans vergogne, jetons un regard pressé par l'entrebâillement, avides de jugements rapides, mais il devrait être également possible de nous approcher pas à pas, avec pudeur face au tabou, résolus à extorquer non sans peine aux morts leurs secrets. L'aveu de notre détresse, c'est par là que nous devrions commencer.
Les millénaires fondent sous une forte pression. La pression doit donc demeurer. "
Christa Wolf, Médée
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Créée
le 15 déc. 2019
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