Pierre angulaire du Cinéma expressionniste tournée au beau soir des années 1910 Le Cabinet du Docteur Caligari s'agit d'un véritable paradigme d'hétéroclisme artistique : anticonformisme, s'écartant des normes de toutes sortes et profondément fascinante cette succession de prises de vue privilégiant l'étrangeté des décors biaiseux, excentriques ( formés de bicoques distordues et de trompe-l’œil aux perspectives dérangeantes ) et le jeu outrancier de sa poignée de comédiens pourrait bel et bien demeurer le tout premier film anarchiste de l'Histoire du Septième Art ; dans une atmosphère purement mitteleuropa ledit film ( initialement prévu pour être réalisé par Fritz Lang ) incombe finalement à l'outsider Robert Wiene et aux acteurs Werner Krauss dans le rôle-titre et Conrad Veidt dans celui de l'instrument du crime...
De durée modeste mais d'une puissance visuelle inouïe Le Cabinet du Docteur Caligari fut intégralement tourné en studio, jouant sur des séquences d'intérieur aux perspectives et valeurs d'échelle littéralement bouleversées, révolues pour ainsi dire ; l'univers oppressant de Franz Kafka survient à l'esprit au regard de ces bureaucrates juchés sur d'immenses sièges aux pieds démesurés, de ces scènes tenant lieu dans un asile de fous aux plafonds étonnamment bas et de ses motifs picturaux aux allures de kermesses d'école. Biscornus, délirants et disproportionnés lesdits décors évoquent la folie intérieure du narrateur Franzis ( Friedrich Feher ), devenant par là même un authentique paysage mental tout en décuplant la dimension introspective du film de Wiene.
Acoquiné - à juste titre sans doutes - au malaise social et politique germanique inhérent à la conjoncture historique de l’entre-deux-guerres ce chef d'oeuvre muet du début des années 1920 est à la fois une Oeuvre d'Art plastiquement vertigineuse, un récit mental trouble et dérangeant mettant en lumière une autorité destructrice ( les instances municipales que rencontre le personnage de Caligari dans les deux premiers actes du métrage ; une psychiatrie pernicieuse verrouillant les freaks et les illuminés dans leur solitude, etc...) et la matrice créatrice de nombreux réalisateurs contemporains - Tim Burton en tête. Un classique à voir et à revoir absolument, aussi insolite qu'indispensable.