Le Caire Confidentiel raisonne à mes oreilles comme une référence aux romans noirs de James Ellroy, et cela n'est pas complètement anodin, tant le titre français est plus évocateur que le titre anglais The Nile Hipton Incident. Le film n'est pas exactement un polar, mais bien un film noir dans l'acception noble du terme, et avec les mêmes principes et règles du genre. Il allie une unité de temps et de lieu très sombres, rongés par la misère, la corruption et l'immoralité, sous la toile de fond d'une enquête policière (souvent une femme assassinée), miroitant de quelques trames secondaires, permettant à un homme de cheminer du mal vers la lumière rédemptrice du bien. Il y a réellement quelque chose du Dahlia Noir dans cet excellent film de Tarik Saleh, qui raconte brillamment l'histoire d'un lieutenant de police sous l'Etat de Moubarak, à la veille de la révolution égyptienne du Printemps Arabe, enquêtant de manière quasi obsessionnelle sur l'assassinat d'une chanteuse libanaise, qui le mènera dans un scandale d'Etat, de criminalité, de corruption et de mœurs. Il conviendra de ne pas défleurer la trame ni l'intrigue, tant elle nous fait voyager dans les coins et recoins de cette ville à la fois si fantasmée mais pourtant si peu connue qu'est Le Caire.


La qualité cinématographique et technique du film est réelle, tant les plans sur la capitale égyptienne nous la rendent sinon insupportable, du moins tentaculaire. La lumière pâle met en valeur le gris des murs, et la lumière orangée des enseignes du soir l'obscurité de la nuit et des ruelles où s'égorgent les mafieux, sous les yeux bienveillants des policiers, qui du commissariat de quartier jusqu'à la Sûreté de l'Etat elle-même, prennent leurs parts sur tous les marchés lucratifs quels qu'ils soient. Il y a la fois une forme de violence extrême dans ce film, de la part de la police, des criminels mais également de la structure même de la société et de la ville qui est plus de l'ordre du symbolique que du matériel.La Révolution qui approche jette son poids démesuré sur une atmosphère déjà lourde, où le spectateur occidental ne voudrait jamais vivre, et qui pourtant s'empresse de la déstabiliser plus encore. La différence de traitement de l'image entre les demeures des pauvres et des fonctionnaires contraste radicalement avec la lumineuse et magnifique perspective des villas et clubs fréquentés par les riches proches du régime de ce cher Moubarak, qui apparaît régulièrement en toile de fond sur l'écran de télévision du héros, jamais nettement. Fares Fares incarne avec brio le rôle de ce lieutenant de police, qui par son nez exubérant, et sa qualité de jeu exceptionnelle, représente très nettement l'homme égyptien, incarnant dans sa vie professionnelle par sa lourde veste de cuir cette police corrompue, qui au gré des pots-de-vins, et au gré des pressions hiérarchiques, classe les affaires ou non, torture ou non, et met en garde-à-vue pour quinze jours (ce qui change des 48 heures françaises).


Le film est évidemment, au-delà de l'excellente intrigue qui, par sa simplicité et sa virtuosité, nous happe, une véritable critique de la société égyptienne de Moubarak d'avant la Révolution, qui nous rappelle à nous les spectateurs, que si nous nous plaignons du Maréchal Al-Sissi, ou des Islamistes, la société d'avant n'était guerre reluisante non plus. En fait, la médiocrité de la société égyptienne, qui se pâme pendant quelques instants devant les événements venus de la Tunisie, nous frappe dans le film. Je me souviendrais toujours de ce dialogue entre le protagoniste et le Député, quand ce dernier lui dit : "Nous ne sommes pas en Suisse ici, il n'y a pas de justice". La violence sociale, notamment le traitement quasi esclavagiste des Noirs en Egypte, en témoigne les personnages Soudanais qui restent à l'instar des Noirs dans la société des sous-personnages que l'on massacre à souhait sans jamais réellement que l'on s'en étonne outre mesure. Evidemment, la société égyptienne tolère les vices, tant que ceux-ci sont rentables, tandis que le peuple égyptien se soulève inexorablement. L'hymne chanté régulièrement du voyageur solitaire en parlant du personnage principal, absolument insensible à la révolution et même à Moubarak, prend tout son sens dans la dernière scène du film, qui montre l'aveuglement toujours persistant de l'Histoire, rétif à la nuance, et éternellement réécrit par les vainqueurs. Étrangement, les grands absents du films ne sont ni plus ni moins que les Islamistes eux-mêmes, qui n'apparaissent jamais, et pourtant qui sont bien plus dangereux que les autres : peut-être cela symbolise-t-il la naïveté des révolutionnaires de la Place Tahrir ? Et évidemment, pour finir, à quasiment chaque plan du film, le personnage principal fume une cigarette, qui au-delà du clin d’œil au genre du roman noir, devient une métaphore de l'Egypte, qui brûle, brûle et brûle encore, pour finir en cendres.

PaulStaes
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le 28 févr. 2018

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Paul Staes

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