« N’ayant pas de condition, je pars à la recherche de la dignité humaine »
« C’est à nous de démerder tout seul »
C’est avec une de ces phrases que débute le récit de la bande de prisonniers de guerre français en Allemagne. Du déjà vu, non ?
En 1962, pour l’un de ses derniers films, Renoir récidive avec les grands thèmes de la Grande Illusion. L’amitié, l’engagement, la solidarité reprennent leurs droits dans ce film d’une nouvelle génération d’acteurs, celle de Cassel, Brasseur, Rich, Carmet et le jeune Guy Bedos. Toujours aussi bien dirigés, ils offrent un nouveau panorama des élans humains face à l’adversité.
Davantage pluriel, le film est moins linéaire et plus accidenté que son illustre prédécesseur. Tout entier porté par l’échec des multiples tentatives d’évasion, il dessine une carte labyrinthique de l’emprisonnement où chacun se rappelle avec nostalgie de sa fonction dans le civil, condamné à un uniforme et des travaux forcés qui le prive de toute individualité. C’est pourtant bien cette dernière que Renoir, toujours avec la même tendresse et le même sens du portrait, esquisse au fil des aller-retour d’un camp à un l’autre. Régulièrement travestis en civils, par de petites incursions dans une vie allemande où ils font mine de se fondre, parfois comiques, souvent pathétiques, les hommes se dispersent : certains s’accommodent de la captivité, d’autres refusent le compromis, et se heurtent avec violence aux cloisons de moins en moins matérielles, mais qui se rappellent toujours finalement à eux.
Composite et très attachante, la galerie des énergumènes se consolide à mesure que les épreuves les blessent. Si la tentation à l’endormissement de la servitude les guette, un compagnon ou une femme saura toujours les remettre sur la douloureuse voie de l’héroïsme. C’est une main cachée sous la table qui sert le bras d’un compagnon pour lui dire silencieusement adieu, c’est le sourire de celui qui s’est fait prendre en voyant ceux qui s’en sortent, où à l’inverse, la fuite lente et discrète de ces derniers lorsque l’un d’entre eux tombe dans les mailles du filet… Souvent, c’est le silence qui magnifie l’entreprise, à l’image de cette très belle scène où l’on compte les secondes pour vivre, à l’aveugle et par procuration, la fuite d’un compagnon à l’extérieur.
S’il donne moins à voir le camp des allemands que dans La Grande Illusion, c’est par petites touches qu’il aborde la question : l’esquisse d’une idylle avec la fille de la dentiste, et, sur la route, le témoignage d’un couple mixte qui semble répondre à celui, éphémère, que formait Gabin.
Plus confidentiel, plus modeste car éparpillant l’humanité sur une plus grande galerie de personnages, Le Caporal Epinglé n’a certes pas le souffle et la grandeur La Grande Illusion ; il n’en est pourtant pas moins un film vibrant d’humanité, porté par des comédiens qui, à l’issue du récit et comme souvent chez Renoir, ont su devenir des compagnons familiers des spectateurs.