Mary, miraculeusement rescapée d’un accident de voiture, survit dans la peine et la souffrance, tourmentée par des doutes existentiels, des hallucinations et une folie obsessive.
Derrière ce film apparemment mineur, échec total à sa sortie, tourné en à peine trois semaines avec un budget dérisoire (environ 30000 dollars), avec une actrice principale inconnue et aussitôt tombée dans l’oubli, se cache un vrai chef d’œuvre du cinéma, plus particulièrement du genre fantastique. Mis à part quelques scènes assez saugrenues que l’on oubliera vite (comme celles avec le voisin dragueur, au bar entre autres), ce film est habité par une mise en scène stupéfiante, d’une créativité rare, avec d’ingénieuses transitions, un superbe montage, un soin extraordinaire porté non seulement au son avec cet orgue venu d’outre-tombe mais aussi à l’image, à la photographie, à la lumière, aux angles, au cadrage, le tout recréant une ambiance étrange où le quotidien devient suspect voire effroyable, reprenant le concept freudien d’inquiétante étrangeté (das unheimliche), selon lequel l'intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d'en être effrayant. Nous pensons bien sûr aux vertigineuses scènes de danse macabre dans le pavillon, qui méritent à elles seules le détour, mais aussi aux apparitions soudaines dans l’eau, dans l’obscurité, dans les escaliers, dans le bus, aux visages blafards filmés en gros plan, aux prises de vues de l’orgue qui devient monstrueux, entre autres.
Le récit, dont la sobriété favorise la justesse, distille progressivement l’inquiétude, à mesure que s’intromet dans le réel la figure effrayante de la Mort, incarnée par l’homme : d’abord derrière la vitre de la voiture, puis sur la route, dans la cage d’escalier, dans l’église (lieu de travail), derrière la vitre de la chambre puis dans la chambre elle-même – de plus en plus proche de l’intimité. À ce titre, les vitres, la porte, sa serrure à chaîne ou à loquets, abondamment filmés (en gros plans généralement), symbolisent la frontière fragile entre le dedans et le dehors, le moi et l’Autre, la vie et la Mort. Un autre objet récurrent à la portée symbolique est le miroir (ou le reflet sur la vitre), à travers lequel se met en place la crise identitaire que souffre Mary, d’abord dans la voiture où son image est remplacée par celle de l’homme (= la Mort) puis dans la cabine d’essayage, moment après lequel personne ne semble la voir ni l’entendre (ce qui l’amène d’ailleurs chez le psychiatre ensuite) ou encore dans sa chambre où son voisin-amant se mue en l’homme. De manière générale, les images extérieures renvoient à une forme de dédoublement de soi (comme cette femme peinte sur la pancarte du pavillon, se trouvant derrière Mary et lui ressemblant étrangement) ou d’apparitions d’autres mystérieux prenant possession d’elle (comme les vitraux de l’église qui après que Mary les a contemplés, semblent jouer à sa place et contrôler ses mains, ses pieds et son regard) et participent donc à cet effondrement dramatique du moi. Tout cela la mène inévitablement à la fuite, comme le figurent les nombreuses courses, à pied ou en voiture, dont le but n’est au fond que d’échapper à soi-même, à ses propres visions, à sa folie et surtout à sa finitude, et dont la fin est donc inévitablement vouée à l’échec, comme le démontre ce court plan où elle veut forcer une porte fermée avec un cadenas.
En regardant Carnival of Souls, comment ne pas penser à Eraserhead de David Lynch, qui d’ailleurs en reconnaîtra l’influence directe, ou même à Repulsion de Polanski, c’est-à-dire aux grands maîtres du film fantastique, si ce n’est du cinéma ?