Sans doute le film semblera vieillot aux moins de 20 ans et même bien plus, qui n'ont pas connu la fin des années cinquante : péridurale et assistance respiratoire à l'accouchement sont devenus d'une telle banalité aujourd'hui que c'est comme le couteau suisse, ça semble toujours avoir existé...
Pourtant Jean-Paul Le Chanois décédé à 75 ans en 1985, semble bien oublié de nos jours ! Pourtant sa filmographie est aussi appréciable que diversifiée...
Avait-il flairé en 1957 le bon filon économico-cinéphile que constituerait l'idée de traiter d'un sujet tabou à l'époque, aussi difficile à évoquer publiquement que "pour ou contre la peine de mort" ?
Pour resituer le sujet dans son contexte, il faut se souvenir que la population française d'alors, si elle comportait quelques épiphénomènes de religions autres comme le protestantisme, la majorité de la France était peuplée de catholiques dont beaucoup "pratiquaient", c'est à dire "allaient à confesse", et communiaient lors de la messe dominicale.
Ne souriez-pas, c'est à cet héritage historique que vous devez les "jours fériés" que plus d'un politicien ou patron d'entreprise rêve de voir pulvérisés de nos jours...Tel le dimanche, car après avoir créé le monde, Dieu se reposa le septième jour... Il serait temps qu'il revienne car c'est ce jour que les familles se réunissaient et ce jour de repos est battu en brêche !
Avouons qu'il était de bon ton aussi de se retrouver en ces réunions de croyants, afin que ces dames puissent rivaliser d'élégance en y exhibant la richesse de leurs toilettes... Pas très catholique tout ça... Pas plus que quand un "patron" de PME fréquentait "son église", il était de bon ton de montrer sa croyance en y étant aussi : ça aidait à la promotion interne sinon à la garantie de l'emploi...
Foin de ces médisances, la plupart était quand même sincère et Dieu remplaçait utilement certains psychologues de bazar de notre époque, ou pseudo mamadous voyants extralucides. Si bien que pour punir la femme catholique de son "péché originel", le créateur l'avait punie en lui infligeant pour la nuit des temps : " Tu enfanteras dans la douleur"...
Et voila que la médecine allait remettre en cause ce jugement dernier !
Il y avait donc les "contre" et les "pour", et la discussion faisait autant débat que "l'affaire Daval" les choux-gras de chaînes de télés vénales.
Le film représente très bien les difficultés d'un médecin, notamment de campagne, à faire comprendre qu'il était possible d'accoucher sans souffrances, avant que ça ne devienne la règle et une obligation édictée par le code de la santé. Il appartient en effet à un responsable médical de tout mettre en oeuvre pour éviter la souffrance à sa patientèle. C'est ainsi qu'on peut se passer de la douleur d'une piqûre de nos jours, mais que tout le monde ne connaît pas cette possibilité... Et que dans les hôpitaux, les infirmières rechignent à placer l'anesthésiant ad-hoc "car ça les oblige à revenir deux fois et à perdre du temps"...(l'anesthésiant n'est opérationnel qu'une heure après sa pose) La vie n'est qu'un éternel recommencement : vais-je initier un film là-dessus ?
En tout cas, il n'est pas surprenant de voir Le Chanois traiter ce sujet médical avec brio puisque tout jeune, il se destinait à la médecine. Sa femme lui a concocté un montage de pellicule de derrière les fagots (ou plutôt des blocs opératoires), L' analyse psychologique du sujet est aussi captivante que l'évolution des mentalités qui s'en est ensuivie dans la réalité...
Une chose reste : l'aversion des femmes à la conduite automobile et seuls ceux qui ont vue le film comprendront cette image... Par contre, le réalisateur n'a pas voulu heurter le clergé : il est resté très discret sur la position de l'église et du curé paroissial...
Sur le plan technique, le réalisateur est à l'apogée de son art, et ce sera même selon moi, son meilleur film. Même remarque pour Nicole Courcel qui en joue le premier rôle : pas facile à interpréter car on a souvent le tort d'avoir raison trop tôt...
Ce film, bien que tombé en désuétude, est en tout cas un formidable témoin de son temps tant la grossesse et ses conséquences étaient redoutées des femmes, surtout non mariées (on était loin d'imaginer la pilule anti-contraceptive) et Ogino régnait en maître dans l'art de régir la conception...
Le Chanois avait fait le bon pari : son film figura à la 22° place du box-office français avec près de 3 MM de spectateurs. L'année-même, "Le pont de la rivière Kwaï" culminait lui (jeu de mots oulu) avec 13,4 millions d'entrées... D'autant que mettant toutes les chances de son côté, le docteur Laurent avait été le premier a oser montrer une scène d'accouchement réelle et non simulée... On ignore ce qu'est devenu le bébé !
Arte le 08.02.2021