Clint the legend
Hagiographe de l’Amérique, Eastwood a trouvé un filon fertile, celui des héros incompris et lâchés à la meute ignorante, qui savoure davantage le lynchage que les simples louanges. C’était le cas de...
le 20 févr. 2020
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Richard Jewell est un sacré pauvre type.Obèse,il n'a pas de femme,très peu d'amis et vit encore chez sa mère à trente ans passés.Professionnellement ça ne va pas mieux car ce légaliste forcené se fait virer de tous ses jobs de policier ou d'agent de sécurité à cause de ses excès de zèle à répétition.Tatillon et procédurier,il outrepasse constamment ses fonctions et emmerde tout le monde.Au mieux on se fout de sa gueule,au pire on le déteste.En 96 il réussit à se faire embaucher à la sécurité des Jeux Olympiques d'Atlanta et il est affecté au Parc du Centenaire où ont lieu des concerts nocturnes.Le 27 juillet il découvre un sac suspect sur le site et donne l'alerte,à raison puisqu'il contient une bombe dont l'explosion ne provoquera que deux morts et 111 blessés grâce à son intervention.Richard devient du jour au lendemain un héros national mais la fête est de courte durée car le FBI,en panne de pistes, le soupçonne rapidement d'être lui-même le terroriste coupable de l'attentat.S'ensuivront trois mois de persécutions policières et médiatiques qui vont durement impacter sa vie et celle de sa mère,avant que son innocence soit établie.Depuis quelques années Clint Eastwood se consacre beaucoup à adapter des histoires vraies au cinéma et cette livraison 2019 ne fait pas exception à cette tendance.Il coproduit le film avec sa société la Malpaso,en association avec deux acteurs,Leonardo DiCaprio et sa boîte la Appian Way,ainsi que Jonah Hill,et c'est le chevronné Billy Ray qui a écrit le scénario.Eastwood fait comme souvent dans la sobriété et le factuel,à juste titre car cette histoire pas banale se suffit à elle-même et se passe facilement d'affèteries stylistiques.Très fidèle à la réalité,jusque dans les noms des personnages impliqués,le film semble à première vue dénoncer une injustice et le système médiatico-policier qui peut porter un individu au pinacle de manière instantanée et le clouer ensuite au pilori tout aussi vite,tout ceci étant effectué de manière disproportionnée.De fait tout le monde en prend pour son grade dans cette description clinique du broyage d'un homme par un système impitoyable qui fait fi de la vie privée ou de la présomption d'innocence.On a là des agents fédéraux incapables de résoudre l'affaire qui se rabattent sur le bouc-émissaire qu'ils ont sous la main et qui cherchent à le faire craquer par tous les moyens,y compris de manière illégale.Les journalistes charognards prennent cher au passage avec leur chasse au scoop effrénée qui ne s'embarrasse ni de vérité ni de déontologie,notamment la reporter Kathy Scruggs,celle qui a mis le feu aux poudres et est présentée comme une alcoolo-toxico-nympho qui va jusqu'à s'allonger pour soutirer des infos."Ils adorent ce qu'ils ont brûlé,ils brûlent ce qu'ils ont adoré","la Roche Tarpéienne est proche du Capitole",deux citations pour le prix d'une qui résument bien la versatilité des foules et la vitesse à laquelle on peut passer du statut de star à celui de paria,surtout en notre ère d'ultra-communication.Mais le film n'est pas que du redressage de torts car il montre aussi en creux,peut-être sans le vouloir,que tout n'est pas si simple.Effectivement,comme le titre l'indique,Jewell est un "cas".Il a ses bons côtés,c'est incontestablement un gars consciencieux et un héros,mais c'est par ailleurs un vrai connard et il n'est pas étonnant que sa personnalité l'ait rendu suspect.Il était innocent,certes,mais ça aurait très bien pu être lui,il avait le profil parfait pour endosser ce rôle et le FBI n'aurait pas fait son boulot en négligeant d'enquêter sur lui.Ce qu'on peut mettre en cause est la façon dont l'affaire a été traitée,mais soupçonner Jewell était tout-à-fait logique sur le fond,lui-même le reconnait d'ailleurs,et c'est pour ça qu'il coopère pleinement aux investigations.Il était sur les lieux le premier,il a repéré un objet suspect pas si évident à détecter,il a donné l'alerte et évité le pire,il est devenu un héros et a paradé dans les médias,l'histoire,bien qu'elle soit vraie, paraissait un peu trop belle et avait un air de déjà vu sur fond de complexe du héros ou de syndrome du pompier pyromane.Richard venait d'obtenir d'un coup ce dont lui,le raté dont on se moquait,avait toujours rêvé,la considération,le respect,l'admiration,la reconnaissance de ses compétences et la perspective de pouvoir intégrer la police,et tout ça lui était offert sur un plateau,d'un seul coup,parce qu'il avait eu la chance d'être au bon endroit au bon moment,fatalement ça interroge.Avec le recul on peut estimer qu'il a plutôt eu la malchance d'être au mauvais endroit au mauvais moment,le Destin est parfois taquin.Le vrai coupable,Eric Rudolph,responsable de plusieurs attentats,sera finalement arrêté en 2003.Jewell vivra pendant quelques années son rêve de devenir policier avant de mourir d'une crise cardiaque à 44 ans.Paul Walter Hauser l'incarne avec maestria et le rend réel,faisant corps avec son personnage.Il est entouré d'un très solide casting comprenant Sam Rockwell en avocat combatif et teigneux,Kathy Bates en mère aimante mais possessive,Jon Hamm en agent fédéral buté et Olivia Wilde en journaliste malhonnête.On peut remarquer des résonances avec des oeuvres récentes d'Eastwood comme le thème de l'homme ordinaire pouvant devenir héroïque si les circonstances s'y prêtent,ce qu'on voit dans "Le 15H17 pour Paris",ou celui du sauveur célébré dans un premier temps puis accusé ensuite développé dans "Sully".Notes et critiques de films de Clint Eastwood publiées précédemment:"La mule"-7,"Le 15H17 pour Paris"-3,"Sully"-6,"American Sniper"-8,"J. Edgar"-5,"L'échange"-9,"L'homme des hautes plaines"-8.Moyenne:6,6.
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Créée
le 21 juin 2024
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