Forêt bleu pâle sous les rayons de la lune. Cheveux bleu sombre à la clarté nocturne. Dès les premiers plans, et même avant qu’une image se forme sur l’écran, la forêt chante, bruisse, vibre de toutes sortes de plaintes et de cris nimbés de mystère pour une oreille occidentale. Un jeune Indien se déplace, glisse imperceptiblement entre les branchages. Comme le souligne avec justesse seb2046 dans sa très pertinente critique (https://www.senscritique.com/film/Le_Chant_de_la_foret/critique/194505163), il est impossible de ne pas penser au lauré Apichatpong Weerasethakul et à son sublime « Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures » (2010) devant cette scène d’ouverture et, de manière plus diffuse, face à l’ensemble de cette première réalisation conjointe des cinéastes João Salaviza et Renée Nader Messora. Fraternité fondée sur le rôle joué par la forêt, en tant qu’espace intermédiaire entre différents mondes, sur le traitement de l’image même, et sur le cadre, avec l’importance d’un plan d’eau qui sera lieu de rencontre entre le naturel et le surnaturel. C’est d’ailleurs sur ce plan d’eau, présent dès la séquence d’ouverture, que se refermera le film, en une scène dès lors orchestrée par des chants humains...
Entre ces deux volets, l’arc narratif aura été tendu, autour d’une intrigue essentielle : le jeune Indien du Brésil, Henrique Ihjãc Krahô, traverse le deuil de son père. Lui-même père d’un tout jeune enfant, il sait qu’il va devoir préparer la fête funéraire qui libèrera son propre père de son attachement aux vivants et permettra à celui-ci de partir vers le village des morts. Mais la facilité des échanges qu’il entretient avec le défunt l’amène à penser qu’il est en train de devenir chaman, statut et rôle qu’il refuse. Harcelé par un perroquet qui s’est rendu maître de son esprit, il fuit vers la ville, pour tenter de se soustraire à ces influences magiques qui le rendent malade et pourraient bien causer sa mort, affirme-t-il.
La co-réalisatrice, brésilienne, travaille en complicité avec le peuple Krahô, qui entend préserver sa culture par le truchement du cinéma. Le couple de cinéastes s’est installé dans le village Krahô de Pedra Branca et tourne avec, pour toute équipe autre que lui-même, un preneur de son. Une légèreté qui rend ce tournage proche du documentaire, d’autant que les Indiens ne se départissent pas de leur propre nom et jouent dans leur langue, inconnue des réalisateurs, qui ne peuvent ainsi contrôler les dialogues échangés qu’après-coup, grâce à un traducteur. On le mesure, ce premier long-métrage réalisé par le duo se situe donc entre fiction et témoignage ethnographique. Dès lors, un double éclairage est projeté : le premier, le plus évident, sur la vie et les rites, notamment funéraires, de cette société indienne peu connue des Occidentaux non familiers de l’ethnographie amazonienne ; le second, par un effet de ricochet, sur notre propre culture, en tant que profondément imprégnée par l’apport de la psychanalyse.
En effet, face à ce récit d’une traversée du deuil aussi meurtrière, on se fait la réflexion qu’il est sans doute moins risqué, pour l’individu qui s’y trouve exposé, de psychologiser l’ensemble, en étant globalement averti des phénomènes psychiques qu’il rencontre, plutôt que de supposer, comme l’expose ce scénario, la présence d’esprits et un appel du défunt à le rejoindre dans son nouveau royaume...
À plus forte raison, ce « Chant de la forêt » constitue une fascinante exploration d’un deuil narrativisé et ouvrant, à la manière d’un conte, sur le développement d’un récit et le déploiement de tout un imaginaire.